Création

Atelier d’écriture Saison 19/20

Créations littéraires des adhérents

Textes rédigés par les adhérent·e·s inscrit·e·s à l’atelier d’écriture animé par Valéry Meynadier.

Tracer des mots comme on trace un chemin. La feuille est un territoire, une frontière, un espace temps où « Je » se pose. Ce laboratoire propose des expériences d’écriture comme d’écrire de droite à gauche, en tout petit ou en tout gros sur des feuilles maigres ou épaisses. Dans le but de trouver sa voix intérieure, une voie qui vous ressemble, via des consignes formelles & des consignes à thème. Comme le corps est le support premier de l’écriture, c’est lui qui tient le stylo, tape sur le clavier, il est invité lui aussi à prendre la parole. En se tenant debout, sur une scène imaginaire ou bien en chuchotant le texte qui vient d’être écrit dans l’oreille de son voisin, ou encore, avec un masque blanc dire…

Ecouter le texte. Entendre le corps. Qu’est ce qui se dit ?

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L’arbitraire du signe

Juliana pense que le premier est bien souvent le dernier. Son prénom se termine donc par un « a ». Le « euh » est une lettre indécise, elle l’a éliminé car elle n’apporte rien elle l’a remplacé encore par un « a » parce que le « a » porte. Juli-Anna sont deux inséparables, comme le recto et le verso d’une feuille qui s’est crie. Julie-Anna n’ont pas que des sentiments nobles. Elles veulent n’être qu’une pour payer moins cher dans le métro. L’une ne peut exister sans l’autre. Jeu ou duel ? Sœurs siamoises, leur matière cérébrale se méandre dans des joutes vaporeuses et bien souvent ne savent plus très bien laquelle des deux elles est. Immortelle Julianna réapparaît tous les 7980 années. D’après quelques astrophysiciens, c’est dû à la chronologie de certains phénomènes dits « surnaturels ». Aujourd’hui, elle est parmi nous. Ne tentez aucune approche, elle risque de s’évaporer et de ne refleurir que dans quelques années lumière.

Julianna


Consigne : On écoute ce que le collage de l’autre nous dit.

Affaire de choix

Alice, Zazie où es-tu ? Dans quelle nuit ? La lumière ne te parvient plus. Tu es miro dans le métro.
« Coupez-lui la tête ! ». Les chevaux blancs du passé s’évadent de ses cils. Le minotaure essaye de les retenir, de les dompter… Sans succès.

Petite fille sage, elle fait semblant d’être résignée. La tête de sa poupée git dans le landau qui n’attend qu’une poussée d’elle, pour rejoindre qui ?

Le cyclope jaloux aurait aimé, en plus, lui crever les yeux. La main qu’il lui tend va se refermer sur un piège. Cours, prend la tête sous ton bras et cours… Mais, non ! tu restes là éperdue au milieu de cette forêt. Les arbres aussi tentent de la piéger. Leurs branches tentaculaires cherchent à se nouer autour de son corps.

De dessous terre, les fantômes du cimetière veulent l’entraîner dans leurs bacchanales. Ne regarde pas en arrière. Cours, cours… Aphasique elle ne le sera plus. Gueule le monde ! Hurle ta vie !...

Ouf ! une station de métro ouverte pour s’engouffrer, pour se protéger, pour devenir anonyme, entasser dans un wagon. Pour aller où ? Vers quel camp de la mort ou vers quel paradis perdu ?

Julianna


Consigne : Rythme fidèle à l’image de son collage. Surfer sur une vague de mots sans ponctuation.

Le dentifrice

Il m’a dit on m’a volé ma brosse à dents dans ma poche moi je la cherche dans l’effritement lequel l’a fait dans leurs yeux vides je cherche celui qui rougit qui a volé volé la brosse à dents et pourquoi je me le demande pourquoi la brosse à dents sa brosse à dents à lui pourquoi pas la mienne moi je ne comprends pas sa bouche est édentée alors pourquoi une brosse à dents ça je me le demande cette histoire de brosse à dents est très étonnante je n’en reviens pas pourquoi on lui a volé et dans sa poche en plus les autres ils l’ont vu ça c’est sûr ils font comme s’ils ne savaient pas qui a volé la brosse à dents mais ils le savent ça se voit ça se sent il faut gratter c’est sans doute en dessous c’est caché que va t’il devenir s’il ne peut plus se brosser les dents comme eux édentés des trous béants qui régurgitent les maux parce qu’ils n’arrivent plus à les mâcher brosse toi les dents on leur à dit depuis le début de la vie on efface on polit on brosse en ordre les non- dit on les ravale et tout ce qui n’est pas dit ressort de la cavité de leurs yeux et tout cela à cause du manque de brosse à dents alors lui qui en avait une on lui a volé la tentation était trop grande arriver enfin à détartrer le passé c’est à cause du manque de brosse à dents que toutes leurs paroles se sont effritées sans dessous-dessus alors qu’un seul coup de brosse à dents aurait suffi à remettre leurs idées en place y’ à vraiment de quoi avoir la tête à l’envers à force de brosser dans le sens des poils la brosse à dents s’use elle aussi il faut la remplacer à quoi bon la chercher puis ce qu’à son tour elle s’use c’est si simple d’aller la chercher dans la poche de son voisin la brosse à dents qu’on n’a pas mais vous avez pensé à lui qui n’a plus de brosse à dents pour se faire reluire le gouffre à mots ils vont maintenant s’échapper avec leur haleine fétide et puis osera t’il encore évacuer sa logorrhée ne risque-t-il pas de s’étouffer avec déjà il s’excuse de déverser des insanités ce n’est pas de sa faute c’est qui le voleur qui l’empêche d’avoir des mots propres des mots bien léchés acceptables alors tout ce qu’il dit est collé n’importe comment déchiqueté broyé tout part en bouillie autour des démiurges agonisants qui ne peuvent même pas se faire les dents sur un bout de maux sans brosse à dents ils n’ont aucune emprise sur le poids des paroles alors l’un d’eux à volé dans sa poche sa brosse à dents pour le bâillonner mais la vérité sort par toutes les pustules les mots transpirent par la peau et défèquent par tous ses orifices ne pleure plus pas besoin de brosse à dents c’est une illusion pour toi seuls ceux qui n’ont rien à dire en ont besoin.

Julianna


Amputation

Amputé de l’amour. Née sans désir. Spermatozoïde rencontre ovule pour danse endiablée. Jaillit « une tronche ridée » le cordon autour du cou. Coupe ! coupecoupe et noeudneu pour ne pas qu’elle s’envole. Pas la force de pousser un hurlement quand l’air déchire les poumons. Posée dégoulinante sur le ventre de la « matrice ». Ma face vire rapidement au jaunâtre du nourrisson. Ma mère en avait le présentiment. Toute ma layette est jaune, les draps sont jaunes, le landau est jaune et moi au centre. Donc on ne me voit pas. Je n’existe pas. Que du jaune d’œuf pour faire l’omelette, alors ça ne prend pas. Mon géniteur, pendant ce temps boit une bière au café d’en face. De grosses gouttes de sueur coulent le long de son visage. Il a peur. Il sait déjà que l’enfer commence pour nous tous. Les fenêtres de la chambre sont ouvertes. Clameurs, hourra, liesse générale : le PSG vient de gagner et nous trois on est comme des cons. Om me tape sur les fesses et là j’hurle à n’en plus finir « Elle a de la voix, celle-là ! » Mon premier compliment proférer par un homme en blanc. Je savais déjà que ce serait le seul avant longtemps. Jamais le temps pour moi. Boulot boulot et niquer niquer le soir. Moi si pas sage panpan cucul. Ma mère est toute contente de moi : 1er mot « attend ».

« Vous vous rendez compte, c’est très original, elle n’a pas dit comme les autres : papa ou maman » Tout le monde s’extasie. Amputé de l’amour. Je cherche éperdument une prothèse mais là où mes parents ont échoué, je me vautre à mon tour. Incapable d’exprimer mes sentiments. Je n’ai pas les codes. Je me jette avec violence sur les autres pour avoir ce que je n’ai pas. Résultat, je fais peur. On me repousse. Mais quelle idée, elle a eu cette maîtresse qui a voulu faire une élection « la meilleure copine ». Personne, bien évidemment, n’a voté pour moi. Amputé de l’amour. A peine formée je précipitais mon corps contre celui de jeunes hommes. Beaucoup d’amour à donner mais pas d’amour à recevoir. J’ai passé des années à chercher, à mendier. Rien ou si peu. Le père meurt. Sensation de tomber indéfiniment dans un gouffre. Je suis triste mais contente parce que j’ai l’impression d’avoir perdu un peu d’amour. Ce pourrait il que l’on m’en ai accordé ? Je souris d’espérer. Vêtue de noir, on me plaint. J’existe enfin ! Je souhaite être orpheline pour recevoir plus.
Les années amputées d’amour passent. Les hommes défilent mais je n’en retiens aucun. A force d’avoir été privée d’amour, je n’en ressens plus pour personne. Je ne le regrette pas, je me suis accommodée, raccommodée comme j’ai pu. Amputée de l’amour, je me plais à jouer les grandes amoureuses, hypersensible, grande romantique je pleure au cinéma. Justement parce que c’est du cinéma. Pour cacher qu’au fond de moi, je ne ressens rien. Amputé de l’amour.

Un beau jour, né sans désir ? Spermatozoïde rencontre ovule pour danse endiablée. Jaillit un petit visage, pas fripé du tout. Mon fils… Et l’amour a brisé toutes mes résistances, tous mes à priori… C’est beau d’aimer et d’être aimé.

Juliana


La fenêtre

L’œil de bœuf à triple vitrage donne à voir le foyer rêvé. La chaleur y est préservée mais lui a froid car il est au-dehors. Pour lui aucun passage vers la lumière. Tapie dans la nuit, il épie la vie oubliée, celle d’avant, celle du temps où il était considéré. Sans mot dire, sans à priori, sans impression, il regarde sans comprendre le pourquoi, le comment. Il est hors champ, hors d’atteinte aussi. No man’s land. Il cristallise. Plus les étoiles brillent à l’intérieur, plus lui, au-dehors cristallise. Peu à peu ses membres s’engourdissent. Le sang lui aussi se fige. Maintenant il colle son visage à la fenêtre, tente d’aspirer l’inconscience de la fête. Il est bientôt minuit. A l’intérieur les rires fusent. Alors lui aussi se prend à rire, à rire, à rire… de plus en plus fort. Il n’en peut plus de rire, de rire, de rire… mais personne ne l’entend. Il cristallise de plus en plus. Son corps se tend, des myriades de petits cristallins explosent dans sa tête. Eux ils s’embrassent et lui se brise.

Au petit matin, on n’a retrouvé que des éclats de verre, au-dehors, comme au-dedans. Plus de fenêtre mais une ouverture vers un autre possible.

Julianna


Ne pas trop te regarder

Ne pas trop te regarder de peur d’être éblouie par la lumière de tes yeux. Eux me regardent pourtant parfois souvent sans peur sans pudeur sans demi-mesure. Combien mesure ton amour mon amour ? Il n’y a pas de mesure en amour juste des doses improvisées de tendresse parfois maladroite, des tentatives vaines de tout faire bien pour toujours bien plaire à l’autre mon autre c’est toi et tu m’as toujours bien plu tu sais même quand tu ronfles la nuit et m’empêches de dormir quand tu me prends du thé à la réglisse alors que je déteste le thé à la réglisse quand tu parles trop vite et que je comprends si peu que j’ai l’impression d’entendre une langue étrangère tout est étrange chez toi mais tu ne seras jamais mon étranger ma maison sera toujours ton pays et ta peau mon territoire que j’envahi à l’envi tous les matins de la vie toutes les nuits aussi et même tous les après-midis au goûter je n’aime goûter que tes lèvres pas de tartines de chocolat ou de confiture de boissons chaudes fumantes un plaid sur les genoux mon goûter c’est toi sucré et brûlant une gourmandise de chair qui n’a pas de prix. Combien tu m’aimes dis plus que la vie plus que l’infini et toutes les étoiles de toutes les galaxies réunies ? Ne réponds pas je n’ai pas besoin de réponse. La question est assez belle pour se suffire à elle-même laissons devant elle un silence musical ou poétique sur lequel nous danserons la valse des gens heureux que rien ne piétine pas même l’ennui ou l’ignorance ou l’ombre de l’indifférence à tout pas même la peur que la fête soit finie et qu’il ne reste plus au sol que des débris de bouteilles d’alcool témoins d’une ivresse trop passionnée et éphémère pour ne pas succomber à l’oubli.

//

Dédé


Il y a la lumière

Il y a la lumière de la vie au fond de son œil clos.
La chaleur du monde au creux de ses minuscules doigts flétris.
Elle regarde par le trou. Elle voit, elle sent, elle entend, tout.
Elle a tout observé dans son obscurité douillette et a compris toutes les failles, tous les doutes et toutes les joies.
Sa petitesse n’a d’égale que la grandeur de sa pureté.
La fenêtre s’ouvre doucement. Elle sort sa tête.
« Me voici » dit-elle avec des pleurs.
« Bienvenue » lui dit-on des sourires.

Bienvenue dans ce monde petit ange, dans lequel nous vivons depuis bien plus longtemps que toi, mais que tu vas nous révéler grâce à la force de ton regard.

//

Dédé


Variations de Sumertime

I.
C’est comme une cigarette sans café. Un café sans matin.
Un matin sans réveil.
Un réveil sans joie.
Une joie sans nostalgie.
Une nostalgie sans émotion.
Une émotion sans larme.
C’est comme un été trop froid.
C’est comme un départ sans au revoir. C’est comme un soleil noir.
Une vie sans toi.

II.
Tu leur chanteras, ma fille Qu’ils entendent ta voix Tu leurs chanteras
Des « Alléluia »
Qu’ils sachent que tu es là
Tu leurs joueras, ma fille
Qu’ils ressentent ta joie
Tu leurs joueras
Des touches blanches et des touches noires Qu’ils n’oublient pas notre histoire.

III.
Je te donnerai des douceurs graves
Quand tu auras mal.
Je t’offrirai de la force chaude.
Quand tu n’auras plus envie.
Et si ça ne suffit pas,
J’essaierai des câlins parfumés d’azur
Ou des mots rares empruntés à des secondes mains.

//

Dédé


Mouvements de trompette

I.

Sur le fil, on marchera jusqu’à tomber.
Au fond, tout au fond de l’abîme de ceux qui s’abiment à explorer les rimes, à jouer avec les rythmes.
On fera l’amour aux mots, sans jamais en jouir, sans jamais les fuir.
Toi, moi, et les étoiles.
On ira cueillir les rires des enfants.
On chantera à tue-tête
Qu’on s’en fout de la tête, quand on a du cœur
On perdra le Nord pour mieux trouver le Sud.
Et s’il fait trop chaud, on mettra nos âmes à nu.

II.

J’aime le chant de ton cou sur mes lèvres
Ça applaudit en silence
Ça balance sans cadence
Ça swingue sans balance
Ça claque en caresse
Ça casse sans dégâts

J’aime la musique de tes reins sur mes mains
Ça coule sans naufrage
Ça éclate dans heurts
Ça tue dans drame
Ça enivre sans vin
Ça fait rêver sans nuit

//

Dédé


Je voudrais te parler

Je voudrais te parler longtemps avec des « Mais »
Mais, mes mots se meurent dans un chaos de silence
Mais, tes yeux sont un nuage accroché à un ciel trop lointain
Mais, mon cœur est une éternité de larmes qui coulent sur la mer

Je voudrais te parler loin, avec des « Si »
Si, le mouvement perpétuel des jours n’accouchait pas que de toi
Si, tous les chemins ne me conduisaient pas à l’obscurité d’une étoile qui dort
Si, mon cœur ne gardait pas la forme de ton inertie

Je voudrais te parler avec mes mots
Mais ils ne seront jamais aussi beaux que la brillance de ton souvenir
Que la vie de ton rire
Prends-les s’il te plaît
Je te les offre sans remords
C’est le souffle de mon amour qui caresse ta pierre froide
Ils décoreront les murs de ton absence
Prends-les s’il te plaît
Ils seront ta lumière dans ta nuit sans fin
Toi le dormeur de la terre
Ton cœur qui ne bât plus, bât dans mon cœur
Tous deux ensembles, nous allons transformer le silence en un rythme effréné sur lequel danse l’amour qui espère toujours même quand l’espoir est mort.

//

Dédé


Sur cette plage, des échoes de notre enfance.

Des odeurs de monoï, la tête dans les seins de nos tantes.

J’y réentends nos rires,

j’y revois nos corps, toujours nus,

et j’ai peur, parfois, souvent de les oublier, que leurs traces s’enfuient.

Que ces petites filles, pleines de sable, plongeant depuis les rochers, croquant dans les crevettes crues, ces gamines sauvages se taisent.



Alors je retourne, je reviens à la mer.

Et comme une tradition, par tout les temps, j’enlève les couches qui m’empêchent d’être libre. Je defaits mes lacets, je jette mes baskets, et j’arrache mes vêtements.



Presque nus, je m’élance, je cours vers la mer, je m’y jette, et c’est si bon, encore mieux marré basse et que j’ai toute la plage à parcourir tant l’excitation monte, tant je suis la petite fille en moi, tant je sens la puissance dans mes cuisses, la fierté de l’interdit.

Être dans la mer, les cheveux collants, la ciel se confondant avec l’horizon, le vent contre mon corps, c’est mon anesthésie étrange pour me sentir vivante.



Et toi, quand tu le peux, la frileuse que tu es devenue m’attend pour m’éponger. Et ton rire de me voir toujours aussi instinctive me rammene à toi, gamine, le cul à l’air sur la plage voulant partir à l’aventure.



Alors je me demande comment comment comment ne pas oublier.

Et la mer toujours toujours toujours me permet de me rappeller.



Sonteng


...



Tu danses...

Toi seul est capable de l’imperceptible mouvement en donnant l’impression que tu ne maitrises pas ce corps desarticulé.
Tes Chevilles. Tes Chevilles dansent.

Tes Chevilles que tu as tant de fois entorsés brisés car comme un chat tu voulais être pris mais ta condition verticale t’as rattrapé.

Tes Cheveux. Tes Cheveux dansent.

Un magma de poils hirsutes qui s’emmelent dans ta barbe ce qui te fait désigner djihadiste par ces cons de flics qui n’y comprennent rien.

Et ton Dos. Ton Dos danse.

Je l’ai retourné en sens inverse pour te prouver que tu étais souple un pied sur la tête les mains sur le sol tu criais arrête arrête arrête mais moi je savais

mais moi je savais

Je te connais si bien que je vois quand ça s’éffrite se tord s’irrite comme nos corps qui peu à peu veillissent d’être déjà acharnés en sens inverse de nos articulations.



Toi Tu es Animal

J’ai cru que je pouvais te dompter mais ça ne marche jamais y’a tellement d’histoire de lion qui on bouffé leur maître.

Tu me bouffes.



Je regarde sans te le dire ton corps qui ondule et je savoure ce moment où tu ne vois pas qu’en secret je t’admire.



Tu danses.



Si tu pouvais me parler comme tu danses me lancer des insultes comme tu rebondis ça me soulagerait l’explosion de tes mots sur mon corps à moi.



Mais tu danses

Tu ondules vrilles sautes atteri roule rassemble respire trace dans l’air du chaos de la force qui transpire



Tu danses



J’aimerais me mêler à toi, krumper mes états d’âme que de nos corps en mouvement naissent la bagarre.



BING BANG BONG



rien



Tu continues de danser et je ramasse mes pensées violentes je les contiens bien rangés pour sourire à nouveau et observer ce corps qui parle sans rien dire.



Soit.

Tu Danses.




Sonteng


Dévéisagement

Je peux rester des heures à te regarder comme j’ai besoin d’aller voir la mer qui avance et se retire en laissant des traces d’écume . Je dois reculer d’un pas à chaque vague et pourtant j’avance, j’ose et cela me nourrit. J’accepte de me mouiller, d’avancer nu pied et à découvert.

Je mesure sa force, son applomb, sa sûreté comme l’enseignant qui connait bien son sujet et ne se laissera pas démonter même si les vents sont contraires. Elle restera elle même , plus forte face à l’adversité.

Je sens des picotements dans mon crâne, juste sous la voûte. C’est la première fois que je découvre cette part de ma tête. Notre regard connecte en moi de nouveaux neurones.

Cela déclenche des sourires ,des rires, des délires juste au même moment dans une complicité heureuse.

C’est un moment de grâce où tout se dit en silence,en douceur, en rondeur,en harmonie. Alors je peux risquer d’ aller dans notre espace intermédiaire comme la mer qui se retire pour me permettre d’aller plus loin, d’ admirer sa force, sa beauté, sa puissance. J’ai de moins en moins peur. Elle s’en va laissant place à la confiance.

Soudain,j’entends que je devrais partir dans une minute. Je mobilise d’un coup toute ma capacité de garder traces de ce moment.

J’ai trop envie de rester encore. Je prends goût à cette avanture- ouverture.

Je reviendrai demain si tu veux bien. Il y aura la nuit de pleine lune entre deux, la nuit qui rythme le temps.
Bonne nuit. A demain. Le jour se lévera sûrement.

Christine


Consigne d’écriture

« Mais là où il y a danger croît aussi ce qui sauve »

« Un signe, tels nous sommes, & de sens nul »
Friedrich Hölderlin
(1770-1843) poète & philosophe allemand, de la période classico-romantique.

On part avec deux phrases de Hölderlin- & ce lien
https://www.cairn.info/revue-vacarme-2011-4-page-66.htm#, à lire absolument, avant de vous mettre en posture d’écriture

Hölderlin, qui vécut 73 ans, mais tout juste à l’âge de 32 ans la folie gagne son esprit. En mai 1807, il devient le pensionnaire du menuisier Ernst Zimmer à Tübingen, & là, il répète sans cesse : « Il ne m’arrive rien, il ne m’arrive rien. » Mutique avec pour seul phrase : « il ne m’arrive rien. »

Le danger pour tout être humain, c’est d’oublier qui il est/ nous sommes des individus coupés de nous mêmes/ Le système capitaliste sous le couvert de nous enrichir, fait de nous de pauvres hères attachés au confort comme le bernard l’hermite à sa coquille (qui n’est pas la sienne).
Mais voilà, les bourses s’effondrent, le cour du pétrole chut(e), & la peur incite nos gouvernements à prendre des mesures drastiques, n’hésitant pas à paralyser une grande partie de la vie économique & culturelle.

Grâce au virus, l’homme court le risque de se rencontrer lui-même !

Ce virus, on le voit pas…
& si on essayait de lui donner une forme ?
Via la page blanche…

La forme c’est ce qui se voit, alors qu’il faut des lunettes pour voir la matière.

… il y a là un meurtre de la matière …

Nous sommes dans l’apparence extérieure, tout le temps & si on essayait de percer l’intérieur ?
De rentrer dans la faille…

La matière passe à l’as. La matière est impensée.
Le problème c’est que parfois on bute sur la matière comme un retour du refoulé.
& ce retour, c’est la mort, la maladie, qu’on se prend en pleine poire…

La matière ça se transforme. Il suffit de remuer des oeufs, & les voici en neige…

En Géopoéticien, on va arpenter ce qui ce passe aujourd’hui, les oeufs deviennent neige & le virus, il devient quoi ?

Le temps s’est ouvert, vous avez du temps.
Qu’est ce que le temps ?

PAS DE SIGNIFICATIONS MAIS DU SENS
Le sens se construit comme une architecture
Il va s’agir de combiner des climats, des situations, des peurs & de la joie
D’une écriture dénudée
La situation doit l’emporter sur l’écriture
À la troisième personne, Il ou Elle

& avant de vous lancer dans l’aventure, vous prenez votre dictionnaire & vous choisissez six mots au hasard, en fermant les yeux…
Les six mots qui vous ont fait signe ouvrent la danse, vous les mettez en début de texte, pour ensuite les faire entendre, les six, dans votre texte, d’une façon ou d’une autre…

« Détruire avec des outils nuptiaux » dit René Char

Les deux petites vieilles

A l’heure où la robe lisse des fleurs se parsème de grains de beauté, elles étaient là, toutes les deux, sur un banc à attendre un bus qui ne venait pas. Maryvonne attendant le 488 B et Roselyne le 566 A.

Elles ne s’étaient encore jamais rencontrées. Mais là elles avaient eu la même idée : rentrer le plus tard possible pour éviter de la promiscuité dans le bus et pour retarder le moment où elles se retrouveraient seule, désespérément seule dans leur petit cocon. Maryvonne venait de perdre son vieil ami depuis plus de 15 ans, son chat Félix. Le mari de Roselyne, en s’éteignant lui avait laissé ses deux canaris, mais c’était de piètres compagnons et l’obligation morale de nettoyer leur fiente tous les jours lui révulsait le cœur. Sans le savoir elles avaient beaucoup de points communs : des cheveux gris avec une légère coloration violette, un foulard noué faussement négligemment autour du cou, le même genre de petits chemisiers à fleurs, une jupe droite atteignant le dessous du genou et un sac à mains fourretout à leur bras. Elles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau dans leur coquetterie.

Elles avaient quitté leur banlieue le matin même pour partir en virée à Paris. Depuis plusieurs années s’en était ainsi. Elles passaient leurs journées dans les bus de la capitale. Elles connaissaient toutes les lignes et le nom des arrêts par cœur Les chauffeurs les appelaient par leur prénom et s’inquiétaient chaque jour de leur santé. A force de sillonner la ville, elles auraient pu se rencontrer, mais non, cela n’était jamais arrivé. Jusqu’à ce jour.

Assises côte à côte elles attendaient. La rue était déserte, aucune circulation, pas un bruit. Seuls quelques fenêtres des immeubles aux alentours apportaient un peu de lumière. Il n’était pourtant pas très tard, à peine 20 heures, mais c’était bientôt l’heure du couvre-feu. Toutes les familles devaient certainement, à ce moment-là partager le repas familial. Elles, ne semblaient pas s’inquiéter du temps qui passe. Il s’était mis au ralenti, avec elles, il attendait sagement les bus.

Immobiles, la tête légèrement penchée de côté, un sourire énigmatique aux lèvres, le regard vif, lucide et perspicace, elles se tenaient bien droites, avec une certaine tension altière dans le port du cou.

Voilà, ça c’était juste pour dresser le tableau, planter le décor, amener la situation… Maintenant il faut un peu de mouvement, si on ne veut pas s’endormir en regardant le film. Elles sont assises toutes les deux sur ce banc, mais vont-elles se rencontrer, se parler. Avec la distanciation sociale imposée par les autorités en auront-elles l’envie ? Pour l’instant elles ne semblent même pas avoir conscience l’une de l’autre. Et si leur bus respectif n’arrivait pas. Mais restons positive, optimiste ! Engageons un dialogue entre elles.

Au début, c’est le silence, il n’y a rien. Puis petit à petit…

– Le temps est obscur aujourd’hui, vous ne trouvez pas ?
– Oui, c’est comme ça !
– Comme ça, oui !
(Blanc dans la conversation)
– Il a du retard ce soir d’habitude il passe à 18h40, 18h52, 19h, 19h25 et ensuite tous les quarts d’heure.
– Alors vous n’attendez pas le même bus que moi, le mien passe à 18h35, 19h05, 19h30 et 20h. Oui, maintenant il a beaucoup de retard.
– (Nouveau blanc dans la conversation)
– De toutes façons, ils ne respectent pas souvent les horaires
– Le mien, si, mais il y a des travaux sur son parcours (elle sort une carte) Tenez là, là et encore là il y a des déviations.
– Votre carte n’est pas à jour, moi je vous conseille d’acheter la carte Michelin de l’année. Tous les ans, elle est contrôlée : les rues débaptisées, les nouvelles rues, les rues à contre sens…

La conversation s’était suspendue. Avec un air désemparé Maryvonne cherchait ses mots. Une fois retrouvés, le contexte lui avait échappé. Elle tentait maladroitement de trouver une contenance pour pallier au blanc des mots. Roselyne lui souriait gentiment.

– Moi aussi, je tricote (dit-elle en apercevant les aiguilles qui dépassaient du sac) Deux heures tous les jours au parc Monsouri. Elle regarda sa montre, sans vraiment y faire attention. Qu’importe puisque le temps ne passait plus.

Elles murmuraient, par discrétion et pour ne pas troubler la pause du temps, l’essentiel, de ce qui était essentiel pour elles : le réseau des transports urbains de Paris et de ses alentours : les interconnexions, les changements de lignes, les habitués des lignes qu’elles fréquentaient. Ceux du matin qui partait au travail, encore un peu endormis, ceux qui comme elles traversaient les heures creuses dans les transports en commun pour garder un peu de vie sociale, ceux qui fatigués, stressés rentraient de leur travail.

Et soudain, prise de panique, renversant son sac sur ses genoux, fouillant frénétiquement dans ses poches ;

– J’ai perdu mon ticket !
– Votre carte, vous voulez dire ?
– Non, vous ne comprenez décidemment rien, Mon ticket, vous savez bien, pour acheter…

A ce moment-là, tout s’est télescopé dans sa tête : les circonstances actuelles lui ont rappelé ces fameux tickets de rationnement. Un long cri de détresse s’est noué dans sa gorge. Le tocsin bourdonnait ses tympans, le bruit des bombardements, des bottes, les pleurs des enfants martelaient et affaiblissaient ses genoux. J’ai vu son pauvre petit corps se recroqueviller sous cet abri de bus.

L’autre est resté là sans un geste envers elle, par pudeur, par peur au ventre ? Pas un mot, rien que du silence pesant de plus en plus lourd.

Ce soir, elles allumeront leur poste de télévision pour regarder les informations. Seuls les chiffres leur resteront pour la nuit.

Temps mort

Puis

– Vous voulez une petite pastille vichy ?

Et les voilà repartis, intarissables, sur le trajet des bus, les endroits de Paris mal desservis, les conditions d’hygiène mal respectées dans les transports en commun ou sur le confort des nouveaux bus électriques.

Pour moi aussi, le temps s’était arrêté. Je sais seulement qu’il faisait nuit noire. Seul un réverbère éclairait la scène. Tout autour, tout devenait anxiogène.

Et puis,

L’une des deux, je ne sais plus laquelle, sortie de son sac, un petit mouchoir brodé à ses initiales. Un petit parfum fleuri s’en échappa. Et les souvenirs revinrent ;

Roselyne était dans sa boutique. Elle terminait une commande de petits bouquets pour les demoiselles d’honneur d’un mariage. Elle chantonnait et son mari essayait de la coincer derrière le comptoir. Elle poussait de petits rires coquins pour l’aguicher. Lui, il ne savait plus où donner de la tête. Sa femme le rendait fou, fou d’amour.

Félix, le chat de Maryvonne, n’avait rien trouvé de mieux à faire que de se poser dans la vitrine au milieu des gâteaux pour observer les passants. Et elle désespérément essayait avec son torchon de le faire déguerpir de là.

Les voyant si émues, si heureuses, je me sentis mal à l’aise. J’eu l’impression d’être prise en flagrant délit de voyeurisme. Je décidai de m’éclipser doucement, comme si d’un seul coup, elles auraient pu percevoir ma présence.

J’ai marché de longues heures pour rentrer chez-moi. Je n’ai croisé aucun bus. Par contre, on m’a demandé mes papiers et mon autorisation de sortie. En tant que médecin d’un des plus grands hôpitaux de Paris je bénéficiais d’une dérogation. J’aurai pu prendre un taxi, mais j’avais besoin de marcher, d’avancer. J’avais en tête ces deux petites vieilles que je n’avais pu sauver aujourd’hui : Maryvonne et Roselyne. Toutes deux dans la même chambre, alitées à bonne distance sociale. Oui, elles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Elles auraient pu devenir amies. Elles auraient pu se retrouver sur un banc en attendant leur bus respectif. J’ai prolongé leur vie tant que j’ai pu. Je leur ai permis de se souvenir des moments heureux et moins heureux de leur existence. J’ai espéré avec elle jusqu’à leur imaginer une vie, des occupations autres que des intubations, des mises sous respirateur artificiel. Je les ai suivis dans leur virée à Paris. Avec elles je suis descendu d’un bus, remonté dans un autre... jusqu’à me retrouver sous cet abri de bus.

Il a commencé à faire de plus en plus froid. J’ai mis mes mains dans mes poches et dans l’une d’elle il me restait quelques petites pastilles Vichy.

J’ai pressé le pas.

Arrivé chez moi, le voyant lumineux de mon répondeur clignotait. C’était des démarches commerciales. Et oui, chacun son job !

Agnès


ravaler, oppresser, déréglement, ravi, pragmatique, attarder

Elle n’écrirait jamais pour le virus,en son nom, à sa place. La place qu’il prend l’oppresse.
Mais où est il ce virus de couronne invisible et mortifère ?
Elle savait qu’elle aussi pouvait détruire sans être prise en flagrant délit. Puis, elle a réussi à ravaler ses tourments, à faire comme s’il ne se passait rien à l’intérieur, mais cela ne marche qu’un temps.
C’est comme ce virus qui est partout, ne respecte pas nos barrières, ne connaît pas les frontières et provoque un déréglement mondial. On ne sait pas ce qui peut se passer, ce qui nous rend fou. En même temps n’est ce pas la condition humaine de ne pas savoir ce qui va se passer dans la prochaine seconde !
Il met tout le monde à ses pieds, les politiques, les scientifiques. Il n’en demande peut-être pas tant !

Et si on l’ignorait, il peut disparaître, vivre une toute petite vie et disparaître sans bruit.
Ah quoi bon s’attarder ?
Elle a aussi une durée de vie limitée, imprévisible mais le temps lui est compté. La vie et la mort ont partie liée.
Elle ne veut plus le perdre et lui donner toute sa place, prendre ce temps d’entre deux de façon pragmatique : faire mieux le ménage, trier, ranger, ouvrir des boîtes abandonnées , écouter ses proches et lointains, et se retrouver avec plus de place pour l’essentiel.
Elle sent son besoin d’amour, de solidarité, de créativité pour tisser autrement les liens.

Pourtant, ce matin, elle a détourné son regard d’une jeune femme sans domicile, en errance, sans un sac, sans un sou.
Nous attendions ensemble l’ouverture du magasin à 8h30. Elles sont entrées ensemble et pendant qu’elle emplissait son sac, cette femme a pris un paquet de chips qu’elle mangeait dans le magasin .
Nous étions à cache cache et elle faisait trop de bruit à cause des chips.
Elle a eu peur qu’elle se fasse prendre, c’est tout.

Tous ses bons sentiments de l’annonce d’un autre monde plus juste, fraternel et solidaire se sont anéantis d’un coup, dun seul.
Elle a eu peur qu’elle s’approche, qu’elle la touche. La peur a pris toute la place et l’a rendue idiote !

Elle s’est sentie plus vulnérable qu’elle. Ses défenses immunitaires se sont senties attaquées.
Pourtant, elle est comme un oiseau tombé du nid, la tête marquée par des traces de lame , avec des habits trop grands qui cachent sa maigreur. Elle doit se cacher pour dormir.
J’aurai pu lui offrir un autre regard que la peur.

Les gens de la rue , aimeraient sans doute être confinés pour lire , se nourrir , écrire, ... Elle écrirait pour elle, en sa faveur ; elle ne prend pas de place,elle. Personne n’en parle. Elle est portée disparue pour les siens et quand soudain , elle apparait , on ne veut pas la voir.

Elle demande de l’aide pour attester de son existence , lui donner une visibilité, une vie humaine. C’est à partir de sa position d’exclusion , de rejet qu’elle peut l’aider à changer de regard sur elle et les autres pour ne pas avoir peur de sa propre pauvreté.

Christine


6 mots du dico

20h. La vie transpire et déborde d’une lumière qui suit le jour d’aujourd’hui pour quelques moments.
Ses narines, transpercées par la pierre du soir et de la nuit absorbent le parfum de l’air humide ; saveur d’un rythme changeant inchangé. Ses mains douces d’argile caressent l’intérieur de ses poches et se rassurent au contact de la laine.
Dans sa course, un doré éclaire les visages rieurs et ivres. Les perles de sueurs, émotives et humaines s’amoncellent sur la peau et viendront se mélanger sur les corps, l’aube venue. Si demain existe encore demain.
Elle passe.
Le loup longe le mur, admirant le spectacle des gens vivants, distant du monde et de ses diversions. Quelques voix se distinguent dans la dissonance des sons superposés. Les vocalises se superposent, s’empilent, s’amassent et s’échouent dans une (in)certaine indifférence. Le c(h)oeur famillier qu’elles forment se disperse et se laisse oublier dans le reste qu’il reste encore. Ici se perd le signal prononcé dans le mirliton de cuivre que serrent ses mains fortes et invisibles.
Noyé lui aussi.
Inconscients, que les secondes n’en sont plus et que les particules de temps s’évaporent, insaisissables.
Quelques minutes avant que la vague violente vienne fouetter et enfermer les corps, morts dans la négative de leur abandon et de leur impuissance. Sans discipline, sans empathie, sans que l’oreille ne se soit tendue à temps. Dans l’irrespect, la voici qui rapplique, serre entre ses mains une fine feuille de papier, qu’elle froisse, sans lui laisser d’issue. « Subis », « récolte » ,
« connais » hurle t’elle à travers mur. Si la feuille de papier parvient à se libérer de ses doigts longs et puissants, le vent lui offrira un dernier vol.
Peut être se laissera-t-elle disparaître dans le sol pour être réécrite. Peut être.
Peut-être que dans l’après, ses mots trouveront le sens certain, jusque là imperceptible de ses yeux et trop fin morceau d’histoire. Peut-être que demain, plus qu’hier, les secondes seront marquées par l’ inlassable absorbtion des substances qu’offre la vie. Distancées des fioritudes. Sans demie mesure mais en toute conscience.
Elle ne le comprenait pas lorsqu’il lui disait, en un aveu discret presque honteux, aimer la douleur pour ressentir la vie.
Jusque là.

Laure


Un mois c’est quoi

Ce lundi-là, le président de la république avait annoncé le début d’un confinement national pour éviter la propagation d’un virus contagieux. Le même jour, Jonas reçoit un appel de son médecin qui lui annonce qu’il lui reste un mois à vivre, tout au plus, et que même une chimio ne pourrait plus guérir son cancer. Il a 17 ans. Il vivra donc son dernier mois confiné, aux côtés, heureusement, de la femme qu’il aime.

Le médecin a dit « Il vous reste un mois à vivre ». Un mois il a dit.
Mais un mois c’est quoi ?
C’est 30 petits jours qui courent à en perdre haleine. C’est l’éternité au creux d’un nid, qui devient un foyer quand le monde tout entier s’envole dans un chaos de fracas.
Un mois c’est quoi ? Le tiers d’une saison ? C’est tout l’hiver dans le printemps quand meurt l’été un soir d’automne.
Un mois. C’est presque rien. Un mois, c’est des nuits d’ennui parce que je veux pas dormir, parce que j’ai pas le droit de partir. J’ai juste le droit de m’en aller, sans broncher, sans dire amen. Moi, qui m’emmène, qui m’entraîne à ne plus vivre ? Est-ce qu’on peut ne plus vivre à en mourir ? Moi je veux mourir de ne plus vivre.

Je veux être Roméo. Maintenant que j’ai trouvé ma Juliette.
Un mois c’est quoi ma Juliette quand on a que son balcon pour voir le monde ?
Un mois c’est quoi quand on a le mal en soi, qui veut échapper au mal hors de soi ? Je n’ai pas la vérité. Je n’aime pas la vérité. C’est une garce, envoûtante et sensuelle, qui nous ensorcelle, nous jette des sorts, nous pique et nous ronge.
Qu’elle me bouffe si elle me trouve à son goût, si mon sang est assez sucré à sa bouche. Un mois c’est quoi ? C’est pas une vie. Ce sera la mienne. Ce sera la nôtre.
C’est une après-midi sans soleil, sans pluie et sans nuage.
Un mois c’est un ouragan, une folie.
Un mois c’est un rictus ridicule. Une petitesse pourrie. C’est l’enfer au paradis. C’est le vide qui s’immisce dans tous les ports, c’est des bateaux sans voiles coincés sur des rives sans eaux.
C’est des jours sans saisons, qui n’ont plus d’habitudes, plus de noms, qui s’absentent, se mélangent, s’entrecroisent et se chevauchent. Quand dimanche sera parti, lundi reviendra peut-être. Et si vendredi s’enfuit, mardi pourrait le suivre, sauf si mercredi les raisonne, avec jeudi qui n’est pas la plus sage, mais ne veut pas laisser mercredi avec une solitude sans âge, pleine de haine et de rage.
Un mois confiné. Je vais vivre un mois confiné et mourir en liberté.
Un mois c’est quoi ? Un mois de moi et toi. Un mois de nous ?
Ce sera un mois de tout, c’est tout.

Ce sera quoi le monde quand je n’écrirai plus personne ?
J’écrirai pour l’ambulance qui viendra me chercher sur mon lit d’adieu.
J’écrirai pour tes yeux qui ne diront plus merci.
J’écrirai pour les mains qui tireront les draps sur ma figure blanchâtre.
Ce sera le dernier printemps ma belle. Ce seront les dernières feuilles vertes.
Le vert c’est pour les commencements, pour les beaux serments, qui ne se dérobent pas. Il n’y a plus de commencements pour les corps qui traînent au cœur un compte à rebours.

On n’est pas sérieux quand on a 17 ans.
Et est-ce que c’est sérieux de mourir à 17 ans ?
J’écrirai pour les vers qui me boufferont la chair.
J’écrirai des vers pour ma grand-mère qui sera allongée à côté de moi. On ne perd jamais ses enfants. On les attend dans le noir. Ils arrivent toujours, toujours trop vite, toujours bien trop tôt.
C’est quoi un mois ? Même pas un souffle. Même pas une bougie.

Ma Juliette, je reviendrai te hanter et tu n’auras pas peur parce que tu ne me verras pas, mais tu sentiras mes lèvres sur ta peau docile. Alors tout recommencera. Encore un peu de vert pour toi.
Je ne serai plus fragile. Je serai plus fort que tout, et tu n’auras plus peur de me perdre, parce que tu ne me perdras plus.
Ma vie elle coûte un mois. Je vais payer ma dette au ciel, et tu n’auras plus de doutes.
Tu seras enfin riche de nous.

Un mois c’est quoi ? C’est rien ma douce. Et ce sera tout. Souris. S’il te plaît souris.
Un mois c’est pas méchant. Notre dernier mois sera sans problèmes et sans dilemmes. On ne pensera plus à la fin puisqu’on sera la fin, à nous deux on sera le F, et le I et le N. Le F de « Fous », le I de « Insouciants » et le N de « Nihilistes ».
On sera le vent qui fait décoller les feuilles mortes du sol, on sera les cris qu’expulsent les cœurs en faillite et les larmes qui n’en peuvent plus de rire.
Toi tu vivras mille mois, OK, même sans moi.
Tu vivras mille moi. Moi c’est pas pareil, j’ai plus le choix.
Alors viens, ma reine, on dira que ce sera un mois de roi au royaume de toi et moi.
Et on fera de ce mois un monde.
Et ce monde sera immense, incroyable, gigantesque, incommensurable. OK ? On dit ça ? Ce ne sera pas un mois ma Juliette. Et je ne serai plus seulement Roméo, je serai Jack, Cyrano, Tristan, Clyde, Titus, Aurélien, je serai tous les amoureux transis.
Ce sera un monde, ma belle. Ce sera notre monde.

Dédé


Fenêtre, massette, sépulcre, diamant, extrader, ribonucléique

Il se plaignait que rien d’extraordinaire ne lui arrivait dans la vie. Que la vie s’écoulait tranquille, monotone.

Il n’avait pu montrer son héroïsme, aucune guerre, aucune lutte sociale suffisamment forte pour renverser le monde. Non juste des signatures à la pelle sur des pétitions qui circulaient sur facebook.

Par moments il se demandait quand même quel sens ça avait clic clac, il pouvait à tout instant prendre ses cliques et ses claques.

Et là aujourd’hui face à sa fenêtre il regardait le monde qui va, ou plutôt non qui ne va plus du tout.

Il avait toujours pris les choses pour acquises et il se retrouvait dans un corps contraint, confiné, à calculer combien de demi carrés de chocolat il pouvait manger par jour pour que la tablette lui dure le plus longtemps possible.
Il en était à son 8e jour de confinement ou peut-être 9 ou 10….il ne comptait plus.

Mais il sentait bien en lui quelques changements, la journée en fait lui était douce. Il faisait des choses qu’il ne prenait plus le temps de faire.
Peu à peu il sentait qu’un diamant pourrait sortir de tout cela. Un diamant pur, enfin pur.

Il allait au plus profond de lui, jusqu’à la cellule souche, jusqu’à l’acide ribonucléique, de son noyau et qui aurait raison, Nom de Dieu du COVID.
Dans cette immense mise au monde qui s’opère de cette tragédie. On ne sait de quoi on accouchera, mais on sait que les crises nous servent toujours à explorer d’autres chemins de vie.

Non il ne cherche pas à fourguer de l’espoir, il n’est pas un dealer. Mais il sait, non il le sent profondément en lui qu’il lui faudra accepter, apprendre à être inutile.

C’est comme si le confinement était en lui, comme un état de fait.
Il s’était d’abord senti à l’étroit, puis peu à peu il a porté ce confinement comme une chose essentielle.

Oui quelque chose est détraqué, le temps est sorti de ses gonds, et il l’oblige à le chercher, le retrouver.

Il sait qu’il n’y échappera pas, qu’il sera avalé à son tour, qu’il vit là quelque chose d’essentiel, mais il ne peut s’habituer à ce qu’il se doit de détester. Détester d’être isolé, séparé.

Etre vigilant à ne pas marcher d’un pas tranquille vers son sépulcre mais rester vivant à l’intérieur de de lui–même.

Etre extradé de ce pays de virus, de mort et pouvoir encore marcher au bord des étangs et cueillir des massettes comme il y en avait chez sa grand-mère tout secs et tout poussiéreux ;

Plus jamais de poussière, plus jamais d’obéissance.
Regarder chaque chose comme si c’était la première fois.

Suzy


Consigne d’écriture, par Valérie Meynadier

L’auto/portrait de chez soi / 31 mars

« Regardait. Rien. Le ciel. Le bord des immeubles contre le ciel. Contre rien. Dans les hautes vitres, la lumière du matin. En face et au-dessus. Des reflets du ciel. Son propre reflet à elle très haut dans les fenêtres. Comme une limpidité de l’air. Des choses. Leur transparence. L’opacité trop claire de cette transparence. De son corps à elle. Comme reflet de surface. Des reflets vides. »
Emmanuel Hocquart

Schubert parle de moments musicaux… Vous allez écrire en musique, avec une musique de votre choix…
Sur un lieu, un espace circonscrit, celui-là & pas un autre, chambre, salle de bain, salon, cuisine, WC…
Pour certains, les WC, c’est l’endroit de la solitude, nul dérangement possible !
« Si je pouvais vous donner une pensée à emporter chaque jour avec vous au water-closet, ce serait : méditez sur le temps libre ! »
Henry Miller.

À l’imparfait votre texte.

L’imparfait a à voir avec l’éternité, il donne de la couleur, une couleur ambrée, il n’en finit pas cet imparfait, même quand il n’y a pas de verbe, il y est encore en silence, sous jacent, vibrant.
L’imparfait c’est l’odeur des croissants chauds beurrés du dimanche matin…
Vos phrases deviennent des verbes conjugués…
Donc, des phrases sans verbe, sans hésitation.

Ce qui est en jeu, c’est l’absence de JE- le Je, c’est le lieu… Vous êtes au service du lieu que vous allez d’écrire…
En général, c’est le contraire, le lieu n’existe pas, on le traverse, le piétine, s’en sert, il nous sert, on le décore puis on l’oublie…
& si on inversait ?
On devient le décorum du lieu ?
Possible ?

Pensez à l’attaque de vos phrases, des phrases courtes au début puis laissez les couler… à l’aide de virgules & de point virgules, de tirets, de points de suspension, elles s’allongent…

L’enjeu c’est de produire des déséquilibres, des incomplétudes…

Faites entendre la vie des petites choses qui vont de travers/ les cadres/ les tapis/ les coussins/ ou pas de travers, le fauteuil, la bibliothèque…

Faites des contiguïtés entre phrases courtes & phrases longues. Comment arriver un équivalent de Je sans Je ?
Il y a là un Je sans vous avec la vie au-dedans…

Je n’a pas de synonyme il parait… c’est simplement un indicateur de soi… de ce qu’on fait, je dors je mange je confine, je à l’infini…

En temps de confinement, le lieu devient synonyme de Je…

Choisissez Des mots simples, des mots qui ne sont pas à double fond. Chimiquement simples. Dans l’espace du texte, il peut y avoir des doubles fonds, des triples fonds même, mais que dans le texte. Le ciel c’est le ciel, après, à vous de nous envoyer dans le fond du ciel !
Ciel !

On s’efface au profit du lieu…

« J’écris aussi loin que possible de moi », dit un poème d’André du Bouchet (1924-2001)
Il est temps de vivre cette expérience, au plus loin de soi chez soi…
Pensez à cette phrase de Mallarmé, que cette phrase vous habite : « Rien n’aura eu lieu que le lieu » dans un poème qui s’appelle Coup de Dés…

Tout ça, sur une page, pas plus !
& une fois le Je réinventé, vous retournez la feuille & là, reprenez votre Je en mains…
Vous voici sur un balcon & « Je » voit quoi ?

Ainsi, essayez de sentir comment votre Je- se comporte après avoir été mis de côté…
Sur votre balcon, vous voyez quoi ?

44

Je vois notre nouvel espace de jeux depuis 15 jours. Nous n’avons jamais autant été dans la cour. L’abandon d’objets insolites des voisins offrent un autre monde.

Le très grand pin qui trône au milieu nous bouffe la lumière mais j’ai un certain attachement pour lui. Il survit. Et lui, il a toujours été confiné. Peut-être pourrait il m’enseigner l’art d’être là : planté dans le sol, les racines profondes. Son tronc est penché, il semble prêt à pousser contre les bâtiments rouges et blancs, qui font plus d’ombre que lui, ce sont les nouvelles résidences.

Ici, au 44, c’est un îlot de résistance. J’aime cette construction bancale, pourtant insalubre, comme une forme de vie en marge.



Je vois l’échelle que mon lézard d’amoureux a déposé contre le mur pour pouvoir grimper profiter des derniers rayons de soleil sur le toit.

Et je me demande, est-ce que le décret des 1km s’étend aussi au ciel ? 
J’aimerais pouvoir tendre un fil. Y monter, encore plus haut, pour voir avec le recul du funambule ce qui nous arrive. Que devient la fourmilière.



Je vois aussi le trou dans la terre que nous tentons en vain de reboucher, de fermer avec des pierres que nous trouvons. Mais les rats nous prouvent à chaque fois que nous ne pouvons pas tout posséder. Qu’il faut peut-être aussi apprendre à partager. 

Notre contrat de location ne vaut rien dans le monde des rats.

Le trou est donc là. J’ai pourtant les poisons adéquat. Je pourrais les jeter au trou. Je n’y arrive pas. 
Il y a à côté la mélisse que nous avons planté il y a plus d’un an. Qui continue de pousser et qui côtoie ces fleurs dont je ne connais pas le nom ; sauvages je les laisse déborder. Une voisine voudrait que l’on range tout. Que l’on clean. Selon elle, cet espace en friche attire les rats. 

J’aimerais lui répondre, qu’après tout, leur venue est là, car tout autour, on construit. On les chasse. On bâtit. De plus en plus haut. Dépassant le pin. La grue de chantier un nouveau totem. Le béton grimpe et les rats grouillent.



Et au milieu, le 44. Cour de (ré)création qui bouillonne. Où le soir, attrapant nos guitares au son des "youyou" des voisines et voisins, nous chantons. Et dans ce moment festif, un peu naïf, entre les cris d’enfants et les cuillères en bois qui tapent sur les casseroles, nous sentons que les ilots de résistances sont nécessaires. Que nous voulons leur donner toute la place qu’ils méritent.



J’espère que du haut du ciel, les oiseaux nous entendent, que du plus bas de la terre, les rats dansent, et que ces moments de cris et de joie d’être vivants, résonnent un peu plus en nous chaque jour.

Sonteng


Auto portrait, dedans, dehors

En entrant, se diriger à gauche sur la pièce de vie. Attirée d’abord par la baie vitrée donnant sur une vue imprenable :
Le paysage se dessine à l’infini, au delà de toute frontière, le ciel occupe les trois quarts de l’espace, mouvance des formes , des couleurs, espace de l’imaginaire, de méditation.
Place à la pièce de vie !
La première fois , en entrant , ce lieu était presque trop beau comme un rêve en vrai : il me remplit de joie. Les négociations se sont déroulées simplement : des formalités…
La symphonie du nouveau monde comme musique de fond. La machine à coudre posée sur la table qui peut se plier et se déplier. Jamais utilisée, cette machine simple au premier abord, s’avère incapable de coudre des masques. Alors des aiguilles, fils , ciseaux sont sortis et même un dé. S’inscrire dans la lignée des femmes qui font la couture en temps de guerre : récupérer des bouts de tissus, assembler, nouer.
Sur les murs , des aquarelles dont des marquises et des cadres noirs heurtent la douceur, les nuances , la profondeur de ces œuvres réalisées par ma cousine et moi.
Le bureau emporté après de nombreuses années de bons et loyaux services ; étant nourri de ma sueur, témoin de mes réflexions, de mes doutes, de mes rires et bavardages ,il m’appartenait ; au nom de rien , c’était mon bureau . En réalité, il est le plus bel objet de la pièce : en bois chêne clair, massif , discret et imposant comme le bureau de la maîtresse... contenant des secrets à tiroirs. Il avait été donné à l’association par une dame du 16e et je me le suis attribuée comme le besoin d’avoir qqch à moi de différent des autres, un vrai bureau.
Puis ce fut mon cadeau lors du déménagement ! Au lieu de rejoindre la benne des déchets, il a eu la chance de se sentir à nouveau utile. Quand je partirai, je l’emporterai.
En face, la cuisine "à l’américaine" avec tous les ustensiles : tout est équipé et là la vie est simplifiée avec une petite cave encastrée jamais utilisée mais c’est branché ! Sur l’énorme réfrigérateur une sculpture de femme s’expose venue de St Jacut. Geneviève avait avancé la somme.
Et puis , une peinture sur le meuble de cuisine , paysage en connexion avec un pastel à la Rothko sur la bibliothèque remplie de gel lyophilisé, de boîtes à trésors redécouvertes à chaque visite. Sur son côté droit, rayonnent le soleils de Jacqueline, la crèche aux couleurs vives et le coeur rouge colorié par la petite Romane.

Allez / Zou, sur le balcon. Je respire un autre air, d’autres couleurs de pensées, fleurs qui me fascinent par leur beauté . Un jasmin encore en bouton est prometteur offert à la fête de la crémaillère. Des jardinières sont remplies de géraniums, comme chez ma grand mère ou ma mère. C’est incontournable, c’est héréditaire..
J’y vais chaque soir à 20h applaudir les soignants, tous les travailleurs sur laquelle repose notre survie, notre gardienne...j’attends ce rendez vous de voisins / voisines qui frappent des mains ou sur une casserole . Je ne rate aucun rendez vous ; c’est la vie qui renaît . Enfin, nous pouvons être ensemble pour applaudir , soutenir , remercier ceux et celles qui sont au front, risquant leurs vies au combat. Juste , un peu de solidarité permet d’accepter notre confinement, de lui donner sens. Je chante, je crie, j’écoute la vie qui résonne et nourris nos cœurs.

En face les maisons aux toits de tuiles s’emboîtent dans un désordre organisé avec des arbres en printemps.
Tout à droite, la tour Eiffel pointe et est toujours scintillante à 20h , fidèle gardienne , phare commun . Les cieux sont de plus en plus flamboyants à cette heure. C’est ma pièce préférée ; j’y prends le soleil, les repas, l’air à pleines mains ..."

Christine


Pièce choisi : les WC
Musique : War Requiem de Benjamin Britten

Un mètre cinq de longueur, 95 cm de large. A vu de nez 2m50 de haut.

Confortablement installée. Ce caisson d’isolement convient. Les yeux fermés écoutent…

Lyrisme de mes water closet. Des images arrivent…. L’émotivité de la langue fait son chemin dans le circuit veineux. Les notes du requiem transpirent. La chaleur de la défécation prochaine enveloppe.

Etat de béatitude, retour au cocon primaire, à la matrice…

L’écrit du dedans pousse… Il va bientôt surgir… Sous quelle forme ? Sans consistance, moelleux, ou au contraire résistant, dur, amer ?

De tous temps, les selles ont parlé pour nous. Aujourd’hui, elles tardent à venir. C’est un pur moment de réflexion, de philosophie.

Je suis reine sur mon trône et j’emmerde le corona truc !!!

Je défèque des insanités à son égard, mais c’est une messe que j’écoute, je ne peux pas me laisser emporter ainsi à des moments de violence. Je me prends à rêver : Si j’évacue la merde qui est en moi et si chacun fait de même…

Mes intestins ont pris le pas sur ma cervelle. Ce sont eux qui envoient les signaux à mon encéphale reptilien.

Mais quelle est cette voix ? « Prends le temps d’assouvir tes besoins quotidiens ! »
OK !

Sur les étagères de mes toilettes : des livres d’arts (grands maîtres de la peinture, de la sculpture, des limbes jusqu’à l’époque contemporaine) Pourquoi est-ce que je les ai confinés là ? Dans mon salon, ils auraient pu faire bonne figure…

Je feuillette, je passe le temps… Duchamp me fait rire avec son urinoir. Je me promets de prendre une photo de mes toilettes. Je n’aime pas le mot « chiottes » parce qu’il ne m’évoque pas quelque chose de confortable, voire d’agréable pièce à vivre.

Splatch !!!!!! La délivrance est arrivée. J’ai retenu ce moment autant que j’ai pu, parce que jouissif, intense, vrai moment de retour vers soi-même, autoportrait fidèle de notre intimité.

Mais au bout d’un moment cela devient lassant. Il faut lâcher du lest ! On ne peut pas tout contrôler. Chacun d’entre nous fait ce qu’il peut mais il y aura toujours des moments où l’on ne maîtrisera pas : des constipations ou des diahrées. A nous de trouver chaque jour des remèdes à nos maux.
J’ouvre ma porte…

Il fait beau. Le ciel est dégagé. L’air semble plus pur aujourd’hui. Pas de perturbation en vue. Le laurier rose est presque prêt à s’ouvrir, les petites fraises, toutes vertes, commencent à rosir de plaisir. Le printemps est là et me rappelle des obligations de taille.

Tout est pareil, mais tout est bizarre. Un de mes chats fait sa toilette. Normal ! et bien non ! C’est comme un film au ralenti. Hop, mon autre chat essaie de saisir une abeille. Le problème c’est que le Hop durrrrrre, il s’étirrrrrrrrre… Prêt de l’insecte qui semble faire du sur place, ses griffes se rétracttte. C’est quoi, ce délire ?

Je regarde autour de moi. Tout est à sa place. En bas de mon petit immeuble un espace vert avec un terrain de jeux. Mais aucun enfant aujourd’hui, que des pigeons, tout un attroupement de pigeons installés sur les tobogans, balançoires… Sur la droite un parking. A cette heure il est normalement presque vide mais là toutes les voitures sont bien alignées. Un peu plus loin cinq barres d’HLM.

J’aperçois une femme en boubou. Elle porte son bébé sur son dos. Deux grosses galettes de semoule sur la tête et un gros sac de courses au bout de chaque bras. Ce que je perçois tout d’abord comme de la pénibilité dans sa marche est en fait un ralentissement, une décomposition du mouvement. Interloquée je regarde l’heure et mets le minuteur en route… C’est de la science-fiction ! Nous sommes enfermés dans un espace-temps. Le temps s’est distendu, ralenti.

Je scrute les balcons alentours. Au troisième étage de l’immeuble B, un jeune homme s’entraîne pour un futur combat de boxe. Un gros sac en cuir encaisse. Les mouvements ralentis sont élégamment chorégraphiés, le jeu de jambes est ultra impressionnant. La puissance de la frappe semble démultipliée. Aucun coup donné n’est le même. A la vitesse ordinaire on a l’impression que tout est pareil. Mais là, moi qui n’aime pas les sports de combat, je déclare que c’est du grand Art.

Au 5e étage de ce même immeuble, un enfant, manettes en mains dirige son drone vers un autre balcon où une petite fille fait de la corde à sauter. Cette décélération du moteur de l’engin engage de la poésie dans l’air : Une histoire d’amour naissante peut-être…

Immeuble D 7e étage : Une Lolita en maillot de bain, sur un transat, prépare sa peau au plein soleil d’été. Elle vernit ses ongles de pieds.

Immeuble A 2e étage : Une femme, la cinquantaine à peu près, engrange, empile, des boîtes de conserves, des packs de coca-cola… Son appartement doit être bien petit où alors elle se prépare à une bien plus longue retraite.

Que se passe t’il derrière ses fenêtres qui n’ont pas la chance d’avoir de balcon ? J’imagine…J’ai le temps… Nous qui passons notre temps à courir contre lui, aujourd’hui prenons-le au creux de nos mains et bichonnons.

Je souris et pour la première fois de ma vie, je regarde la cité d’en face avec bienveillance. J’ai pris le temps de poser mon regard sur ses tours immondes. J’ai virtuellement rencontré quelques voisins et je les ai trouvés bien sympathiques.

Qui a eu cette idée folle de vouloir mesurer le temps ?

Ce soir, je vais mettre toutes les guirlandes lumineuses de Noël à mes balcons !

Julianna


Le Balcon

Les fleurs du balcon étaient mortes.
Des jours, des semaines que tu ne les arrosais plus. La terre était sèche. Les feuilles étaient rêches.
Des jours, des semaines que tu ne les regardais plus. Le soleil n’y pouvait plus rien.
C’est triste à en mourir quand le soleil n’y peut plus rien. Quand il a déjà trop fait.
Quand la chaleur n’est plus amie.
Quand la lumière n’est plus bénie.
Tu aurais dû les chérir, tes fleurs.
En faire des bouquets. Les offrir.
Pas les laisser pourrir. Les faire sourire.

C’est ce que tu sais faire de mieux. De toute façon. Laisser pourrir les choses.
Tu laisses tout pourrir. Tu laisses tout mourir.
Dehors, tout avait éclot, mais plus rien ne poussait sur ton balcon, sinon la désolation et la tristesse de l’abandon.

Ta main était verte. La voilà molle. La voilà ternie. La voilà jaunie. Qu’est-ce que tu attendais ? Que pleuve une rivière ?
Elle avait plu la rivière, au bord de tes yeux. Ça ne t’avait pas plu. Qu’avais-tu fait de toute cette eau ? Tu l’avais laissé couler. Tu t’y étais noyée. Mais tu n’en avais pas fait profiter, tes fleurs. Tu avais fané, avec elle.

Si au moins tu étais partie, quelque part.
Tu aurais eu une excuse.
Mais tu étais restée là, sans rien faire.
Tu n’avais même pas essayé, de rattraper les erreurs du passé. L’éléphant bleu en plastique tournait le dos à la vie.
Il n’avait plus soif, à force d’avoir trop soif.

C’est fini, maintenant.
C’est trop tard, maintenant.
Tout ira à la benne, maintenant.
C’est plus la peine maintenant.
Ça fait de la peine, maintenant. Pourtant.
Il aurait fallu un sourire pour que tout refleurisse. Un simple sourire.
Même tout petit.
Même ridicule.
Même un rictus.
Même minuscule.
Si seulement.

Il y aurait des roses bleues accoudées à la balustrade
et des lys blancs qui courent sur la palissade.
Il y aurait des tulipes mauves pleins les bacs
et des marguerites rouges dans les sauts.
Il y aurait des orchidées dorées qui sautillent dans les recoins
et des feuilles de vignes orange qui descendent du ciel rose sur les murs ocre. Mais ce n’est pas ici. Le jardin coloré.

Ici, c’est le cimetière des bourgeons.
Des petits qui n’ont pas eu la chance de devenir grands. De la sagesse étouffée par son manque d’impertinence. De l’audace précocement aboli.

Ici, c’est le cimetière de l’envie. Ce sera une autre fois, le printemps. Il est passé le printemps.
Tu l’as raté, le printemps.

Dédé


Mes noms : Christine, Chrysalide, Claire
Les animaux : vache, éléphant
Verbes : donner, nager, méditer, noyer
Le Réel nous écrit

Vous êtes à l’aube d’un nouveau monde ; vous ne me croyez pas car c’est du jamais vu.

L’ancien monde a créé sa propre finitude ! Il n’a plus d’avenir, il ne veut pas mourir, va avoir des sursauts mais il est en train de mourir. Il doit payer une dette énorme à la terre, aux arbres, aux abeilles, papillons, à la vie, à l’être humain. Tous aspirent au nouveau monde, non pas tous mais ceux qui goutent déjà à une forme de sobriété heureuse selon l’expression de P Rabbi.

Le monde d’avant s’écrit en isme : égo/ïsme, cyn/isme, capital/isme...catacl/isme

Le nouveau monde préfère le ité plus relevé comme la dernière note qui envoie : ite missa est !char/ité,ver/ité,solidar/ité,liber/té, human/ité. Le monde ne peut revenir “à la normale”, comme avant car c’est ce “normal” qui a généré le problème.

 ce n’est pas normal qu’un enfant meurt de faim toutes les trois minutes dans le monde qu’un paysan se suicide chaque semaine en France, que qq uns possèdent toutes les richesses pendant que d’autres sont dehors sans rien...Comment avons-nous pu vivre dans ce monde pourri avec l’air abattu du ”c’est comme ça, c’est la système “ ????? Cela m’a rendu folle.

Ouf, tout cela se fissure, s’effondre...oui cela va prendre du temps mais plus de marche arrière possible. Il nous faut apprendre à regarder la mer, le coucher de soleil, le visage de ses voisins, regarder ce que nous sommes devenus. Où sont les vaches et les éléphants qui circulaient librement, symbole du sacré. Nous sommes des moutons bêlants !!!

Temps fort pour Christine devenue Chrysalide qui vit humblement sa mutation. Elle va se noyer, se relever comme les autres puis ramener les asphyxiés sur le rivage, les réanimer, nouvelle naissance, nouvelle vie. Tiens bon Zabeth qui m’a entendu aujourd’hui ! C’est clair, oui je m’appelle Claire désormais et j’ai besoin d’air pur, de rires ,de m’amuser avec les pissenlits qu’on souffle , les sauterelles et des chauves-souris !

Claire vit, s’ouvre enfin ; elle a mal à ce vieux monde en elle. Elle a encore plus mal si elle y reste, alors,elle s’ouvre à la symphonie du nouveau monde.

Christine


Tiraillée

entre mes rêves mon enthousiasme mon envie de continuer à croire... 
et la sensation brutale d’être au coeur d’un changement, d’assister à une nouvelle ère flippante.
Je navigue entre différents courants qui m’embarquent. Je les suis et je vois des îlots de resistances, fantasmes de fermes autogérés mais je vois aussi des barbelés qui grimpent de plus en plus haut au bord des continents.
Je ne sais pas comment partagés ces visions qui naissent dans l’océan où je divague. Surtout à qui en parler. Beaucoup ne veulent pas voir, pas entendre ce qui tend, ce qui me tracasse. Au point que je me demande si prise d’une tempête aigu de paranoïa ce n’est pas moi même qui me noies. 
Les vagues me submergent et je crache, l’écume au bord des lèvres, des mots que je préférerais entendre de loin. 



Effondrement. Effondrement. Effondrement.



Je me surprends à rêver d’un ailleurs, au delà des mers, plus loin, encore plus loin. Et je me demande si nous sommes prêts. Si je suis prête.

Je nous vois chacun dans son petit bâteau, avec ses petits objets, avec ses petites vacances, avec ses petits fantasmes.
Et Je ne veux que crier. Hurler. Sonner l’alarme. Je ne suis pas capitaine de phare mais attention, les bateaux si protégés risquent de s’écraser sur les rochers. et ça va faire mal. ça fait déjà mal.

Si je ne peux pas être capitaine je pourrais être clameuse. Piailler du haut des arbres des chants de résistances. Utiliser une voix instinctive, qui fasse résonner nos corps, danser nos esprits, réveiller ce qui reste en nous d’humain. De terrien. Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

Au bord des fenêtres, laisser tomber des plumes de toutes les couleurs qui fassent naitre le désir de voir autre chose que le gris de nos vi(ll)es.



Comment changer ?

Comment commencer à changer ?



Je cherche parmis mes livres des réponses que je connais déjà. Cette sensation aussi utopiste soit elle, du retour à une vie simple, en accord avec tout le vivant qui soit de la jeune pousse au plus vieux des chênes, du nouveau né au veillard, de la cellule à l’univers, me semble des fois si naïve que je ris de moi même. Mais je ne peux pas l’empecher de naitre dans ma tête. Qu’elle s’installe dans ma rétine. Qu’elle prenne possession de mes mains. Qu’elle cherche à me plonger dans la Terre. A faire naître une seule et unique pensée : je suis encore vivante. 


Je suis encore vivante Et je veux me battre. 

Il y a bien quelque part une île, et si je ne peux pas emmener tout le monde avec moi, certains viendront par eux mêmes. Et même si je ne peux pas sauver tout le monde, je pourrais en repecher certains. Et même si je suis complètement impuissante, je peux toujours essayer. Je peux encore m’autoriser à croire.



YOU KEEP YOUR FUCKING THINGS TOGETHER AND YOU FIGHT.

Sonteng


Le chat et la goélanne

Tous deux attendaient au port le retour des mariniers. Papilles en alerte l’un et l’autre se mesuraient. Qui des deux gagneraient le gros lot ? Scrutant le grand large, immobiles, le temps leur paraissait bien long. Ils étaient sur le qui-vive. Prêt à se battre pour une maigre sardine. L’un et l’autre se ressemblaient. Tous deux épris de liberté mais fort dépendant des autres. En ce temps de mer très agitée leur instinct de survie dictait sa loi et exacerbait le côté noir de leur personnalité.

Le cri de la goélanne transperçait la chape de plomb des soupirs :

« Ta race ! »

Il n’en fallait pas plus pour le gouttière « Nom d’un chat ! « Ses oreilles baissèrent pavillon. Sur son dos arrondi ses poils se hérissèrent et le doublèrent de volume. « Je te crache au bec, oiseau de pacotille ! »

« Morpion de la société, tu vis aux crochets des autres, c’est quand la dernière fois que tu as couru derrière une souris ? »

« Toi-même ! A quoi te sert l’envergure de tes ailes puisque tu passes tes journées, le cul sur cette bitte d’arrimage »

« Faignasse de mes deux ! que fais-tu en une journée ? Tu te contentes de dormir seize heures par jour. Tu fais ta toilette trois heures durant et trois autres encore sont consacrées à tes concubines. Le temps pour toi est un ronron circulaire. Va-nu-pattes, t’es tu déjà interrogé sur le sens de la vie ? cas soce va ! »

« Parce que toi, dans ton isolement psycho-affectif, tu sais qui tu es, tu te crois supérieur aux autres ? Beau parleur ! Quel parti ? quel syndicat ? Quel courant philosophique ? Incapable d’être toi-même tu te contente de critiquer et d’attendre que tes fans viennent te remplir le gosier »

Je vous fais grâce de la très longue diatribe qui suit.

Lassés d’attendre, ils prirent leur mal en patience autour d’une partie de cartes.
Pas d’âme qui vive sur le ponton ni sur le quai d’arrimage. Chacun était chez soi. La nuit commençait à se faire sentir et toujours pas de bateaux en vue. Au petit matin frisquet, ils se retrouvèrent poils et plumes mélangés, blotti l’un contre l’autre.

Aucun des deux ne voulaient admettre que la proximité de leurs deux corps les avait préservés d’un gros rhume. Et pourtant, un lien d’amitié, non avouable, entre un chat et une goélanne venait de poindre.

Ils attendirent encore et encore, mais aucun marinier ne rentrait au port. Aucun mouvement de vie autour d’eux. Le monde semblait arrêté. Le chat, pour se nourrir s’était bien contenté quelquefois de cuisse de moineaux. Mais là une goélanne !

La volaille quant à elle, n’était jamais tombé aussi bas. L’idée d’un amuse-gueule aux pupilles de chat lui révulsait l’estomac.

L’un et l’autre se toisaient.

Une idée germait… Se la jouer collectif !

Deux pour un et un pour deux !

La goélanne prit le chat sur son dos. Ils plièrent bagages, larguèrent les amarres et partirent ensemble à la pêche aux maquereaux.

A moi éprise de liberté, animal solitaire et hédoniste, je dédie cette réflexion :

Si j’ai toujours trouvé le chemin de ma gamelle c’est grâce aux talents conjugués de mes pairs. Je leur suis donc bien redevable de quelques élans de solidarité en ces moments de turbulence.

J’ai parcouru quelques lieues à travers des champs de coquelicots et moi aussi j’ai trouvé quelques idées pour me sentir utile, pour donner du sens à cette période de confinement.

Julianna


A propos d’une horloge sans aiguille de la maison de Noailles.

Je ne connais pas cet horloge. A t-elle fait son temps perdant ses aiguilles et entrainant sa perte ? Ou n’ont-elles jamais existé ? Une horloge privée dès sa naissance de sa maitrise élémentaire, amputée de son plus grand potentiel, indique-t-elle les temps préscieux ? Les ordinaires, les pertes de temps ?
Regrette t-elle les temps perdus ? accuse t-elle l’assassin ?
Fixe t-elle malgré lui celui qui passe, enseigne t-elle celui qui s’efface, avertie t-elle celui qui court.
Essaie t-elle tout simplement de gagner du temps, espérant le rattraper ?
L’a t-elle trahi pour en être déshéritée ?
L’a-t-elle tué ?
Et surtout fait elle toujours don de la bonne heure ?
J’ose espérer qu’aujourd’hui, quoi que puisse être l’histoire de cette horloge, son temps soit libre.

Stéph


La beauté inhabituelle du ciel d’un bleu à en perdre la vue s’ouvre devant moi. La vigueur et la bonne température de l’air vivifiant me révèle.

Au loin, des oiseaux planent jusqu’à la cime de ces majestés les arbres.

Je suis très haut, trop haut pour être sur le sol.
Mon mouvement ressemble aux déplacements aériens des voltigeurs.
Comment appelle t-on celui qui vol ? Un voleur, un planeur, un rêveur... un oiseau ? Peu importe.
 

J’étais tout ça.


Et rien de tout ça.
Avec la soudaineté d’un coup de canon dérobant le silence, le bleu du ciel et les oiseaux, ma paupière s’est ouverte.
Seule.

Debout.

Chez moi.

Face à la fenêtre. Fermée.
La pluie battée son plein dehors. Son son me confectionnait un matelas de délicatesse. Quelques goutes frappaient la vitre comme des percussionnistes. Leur mélodie me guidait, accompagnant mon atterrissage en douceur.


Je me suis évadée, j’en garde la trace.

Stéph


Marchant depuis des heures, c’est en suivant la lumière des réverbères que tu étais arrivée jusqu’à la gare.
Ton corps se réjouissait comme à son habitude, du repos qui l’attendait. Epuisé, par chaque montée que la douleur lui faisait prendre pour une montagne à gravir. Chaque trou dans la chaussée l’étourdissait, l’entrainait du sommet dans une chute éprouvante, brève et intense.
Entièrement et sans contre-parti, tu ne pouvais pas le retenir, tu avais fini par trouver du plaisir dans cette sensation de soulèvement du coeur, cet abandon de la masse, où une succession de présent forme en cascade une chute perpétuelle à part entière et à chaque fois sans atterrissage.

L’horloge était figée mais tu n’y prêtas pas attention, tout de suite. Ce n’est que lorsque tu remarquas les tables vides de la terrasse du bar, que tu compris que la pendule de la gare afficherait toujours 13h (midi).

De l’autre coté, une petite maison accueillante, bordée de verdure, et
son escalier attire ton attention. Tu n’hésites pas une seconde, tu t’y
diriges d’un pas rapide et t’assoies. Tu étends tes jambes, les masse brièvement en passant ta main pour enlever tes chaussures et libérer tes pieds.
Tu allonges ton corps meurtris mais vivant. Repose ta tête et ferme les yeux.
Tu sentis le vent naitre sur ton visage, les rayons du soleil parvenaient à dessiner tes formes et avec délicatesse les estompaient légèrement. Leur éclat t’illuminait et t’enveloppait. Le sommeil pouvait continuer à t’emporter dans son royaume.

Tu t’éveilles en sursaut, heurté par un sac plastique. Le son du bourdonnement de la rue t’envahi sans permission. Il te faut quelques secondes pour réaliser, que tu es allongée, endormie et qu’autour de toi, la vie tambourine. L’odeur te saisit parce qu’inhabituelle.
Tu constates avec étonnement que ton corps ne te fait plus mal, bien au contraire il ne pense qu’à s’étirer sans retenue et passer d’un pied sur l’autre pour réveiller un à un, chacun de ses muscles.

Un enfant accourt vers toi, interrompt sa course brutalement et te regarde.
Son regard ne te questionne pas, il te contemple, ne montrant aucune expression particulière, simplement il est là en face de toi. A ce moment tu te sentais en apesanteur comme portée par la mer. Ses vaguelettes régulières et leurs clapotis te berçaient. Le temps avait suspendu sa course. Des sons sortait enfin de la bouche de l’enfant. Sans comprendre, il ne parlait pas ta langue mais le son de sa voix t’emportait. Tu étais comme hypnotisée par l’harmonie qui semblait toucher tous les alentours. La scène en face de tes yeux avait glissé dans un temps où les mouvements, les sons, les odeurs s’étaient rejoints et s’accordaient. L’harmonie retrouvé tout à coup, tu te souvenais avoir connu ce temps, perçu cette sensation au gout de merveilleux et de mystère. Ce souvenir t’apparu comme un fondement, relayant à l’oubli ce qui pouvait l’entraver. L’enfant continuait à émettre des sons qui te paraissaient être des mots chantés dans une langue aux sonorités aux accents et aux rythmes, qui t’étaient étranger. Les sons se sont mis à te parler sans que tu comprennes très bien ni comment ni pourquoi. Tu les entendis soudain,

Dépasse tout ce qui peut entraver ta plongée dans l’histoire, dans les mots. Permet toi de rester sourd à tout ce qui empêche de trouver le son juste.

Brutalement un bruit coupa la liaison net. Etourdi comme sorti d’un rêve en sursaut tu n’arrivais plus à savoir si tu étais sous la terre ou dessus. l’harmonie semblait s’évaporer, sans disparaitre, se fondant dans la scène pour me pas imposer sa présence. Le temps retrouva son rythme et toi le tien.
Et tu sentis le vent naitre sur ton visage, atteindre le point où on ne sait plus qui a commencé.

De la main tu reconnais la pierre de l’escalier sous ton corps engourdi, ouvre les yeux, relève la tête, reprenant tes esprits progressivement.
Tu te saisis d’un papier que le vent avait poussé jusqu’à toi, stoppant dans sa course, contre ta poitrine. Tu te soulèves, déplies soigneusement le papier.
« Dévoile ton existence ».

Sous titre « Avec quoi pouvons nous connaitre sinon avec notre propre connaissance » M F

Stéphanie


A toi ma pensée

Toi ma plus fidèle amie
Réponds moi je t’en supplie
Ton chagrin s’éternise et je n’entends pas ta réponse

Qui t’a rendu de la sorte ?
Qui a enlevé l’éclat et la pureté de tes idées ?
Qui a osé changer la vision d’un monde que toi et moi avions construit bercées par les tendres mélodies ?

Que s’est-il passé ma plus fidèle amie de toutes ces histoires où nous devenions des héroïnes ?
Qui t’a donc fait ça ?

La douleur brûle ma poitrine de te savoir si triste
Ma peine est si profonde
Réponds moi je t’en supplie

Elle est passée où ta joie ?
Elles sont passées où ces histoires dessinées par notre
baguette magique ?

Que s’est il passé ma plus fidèle amie ?

Viens auprès de moi je t’en supplie

La parole quant à elle, s’éclipse, s’assombrit.
Le chagrin nous gagne, ce n’est pas juste.

Ôte le voile qui nous envahit
Aide moi je t’en supplie
Laissons sortir ensemble ce cri si profond étouffé par un jour de pluie.

Jenny


Dimanche matin

Ce matin, c’est dimanche matin, j’ai voulu aller à la boulangerie pour mes croissants du dimanche matin. Et là !... Là ça m’est apparu comme une évidence… Il avait bien raison : La terre est une orange bleue.

Et ce n’est pas parce que c’est dimanche matin. Non ! C’est comme cela tous les jours et depuis le début. Mais ça je ne le savais pas avant ce dimanche matin.

Comment j’ai pu passer à côté de cela ?

Et les autres est-ce qu’ils le savent ? Qui le sait à part moi ?...

Je regarde les autres… J’épie les autres… Je cherche en eux le petit détail qui marque leur étonnement, où le fait qu’ils le savaient…

Mais rien ne transpire. Tout le monde fait comme si, il ne se passait rien. Alors, je décide de faire moi aussi comme s’il ne se passait rien. Je me sens fière de faire partie du consensus : Motus et bouche cousue. Je me redresse et arpente le bitume avec l’air supérieur de celle qui sait : La terre est une orange bleue ! Bien évidemment ! c’est évident !

Je croise quelques incultes ignorants… Je les gratifie d’un petit sourire compatissant. Allez ce n’est pas grave, il faut bien de tout pour faire un monde !

Je m’arrête chez le marchand de primeurs « je voudrai un kilo d’oranges, oranges s’il vous plait »

« Vous inquiétez pas, elles sont toutes bien mures, même si elles paraissent un peu vertes »

Qu’est -ce qu’il sous-entend par oranges vertes ?... Il s’agit peut-être là d’un message caché… Est-ce qu’il fait partie des béotiens ou de l’intelligentsia montreuilloise ? Parce que soit on sait, soit-on ne sait pas. Il n’y a pas de compromis. Ou alors il a dit vert, parce que c’est le mélange du orange et du bleu… Encore un qui ne veut pas se mouiller ! Je lui pardonne, c’est un commerçant. Il ne veut pas froisser sa clientèle.

Je me presse de rentrer chez moi. J’en oublie même mes croissants du dimanche matin. Je monte les escaliers quatre à quatre. Toute émoustillée par ma révélation, je n’arrive pas à trouver mes clés dans mon sac. Énervée, je renverse tout sur le palier. A ce moment-là, mon voisin ouvre sa porte.

« Vous voulez que je vous aide à quelque chose ? » Je le regarde avec un air suspicieux. De quel camp fait-il partie ? Je lui réponds « Le ciel est bien BLEU, aujourd’hui » … J’attends qu’il enchaîne, qu’il me fasse savoir par mots couverts…

Rien, il me regarde avec un regard de baudet… Puis « Bon dimanche ! »

A peine rentrée, que je déballe mes oranges oranges. J’en prend une. Longuement je la fais rouler dans mes mains. Je ferme les yeux. Avec une grande émotion je me mets à l’écoute de mes sensations J’éprouve un sentiment d’émerveillement en caressant cette petite terre bleue ...

« Tu fais quoi là ? » Mon fils vient de rentrer dans la pièce.

Au creux de ma main, je lui présente une orange et susurre « regarde »

« Ouais, d’accord et alors ? »

Non, pas possible, pas mon fils… Il sait c’est évident !

J’ai peine à articuler les mots « La… terrrrrre ….est…une orange bleue ! »…

Il me regarde avec stupéfaction… « Ben oui, je sais » et il retourne à ses jeux vidéo.

Ouf Ouf !!!

Avec délectation, j’ouvre mon orange et quartier par quartier je la dispose sur une assiette.

« Ça c’est le quartier Branly-Boissière, » Je décide de changer et de le placer près du centre-ville. Grands pêchers, murs à pêches prêt de Solidarité… Avec beaucoup de sérieux je réorganise ma petite orange bleue. Et puis, je ne sais pas pourquoi je me retrouve avec le Bas Montreuil dans la bouche…

Le jus coule dans mes veines. Je me sens rempli de plénitude.

Mes yeux se figent sur la peau de mes mains bleues… J’enlève mon haut et je me contemple. Je suis devenue une avatare bleue.

C’est une suprême distinction. Je suis une élue ! L’orange bleue m’a ainsi prouvée mon appartenance. Pour moi il ne s’agit pas que d’une profonde métamorphose physique mais d’une grande évolution dans ma manière de comprendre et d’habiter le monde.

Superbe et majestueuse j’entreprends une nouvelle promenade dominicale. Je prends l’escalier plutôt que l’ascenseur dans l’espoir de rencontrer quelques voisins ébahis. Mais rien.

Je flâne de longues heures au gré des quartiers. Pleinement dans mon élément : Une avatare bleue parcourant l’orange bleue. Les badauds que je croise font comme s’ils ne remarquaient rien. Ben oui, la différence dérange mais on ne veut pas passer pour un bleuphobe. On préfère m’assassiner de dos !

Au croisement des Quatre chemins avec Paul Signac, tout d’un coup j’aperçois… Devinez quoi ?

Un compatriote, un superbe avatar bleu !

A ce moment-là, j’ai tout remis en question… C’était évident ! Seuls les élus pouvaient se reconnaître par leur couleur bleue. Pour les bonobos ils apparaissaient sans distinction particulière.

Je dois dire que je suis un peu déçue de ne pas être distinguée comme faisant partie des membres éclairés supérieurs de notre planète nourricière : l’orange bleue.

Mais il y a un avantage à cela : pas de risque que l’on me prenne pour une « illuminée » Les gens en avance sur leur temps, les précurseurs … ont toujours été des boucs émissaires. Et puis, quand je croise le commun des mortels, moi je sais. Mais c’est mon secret.

Julianna


Dialogue avec le temps

Elle se retrouve seule avec le temps qui lui demande des comptes.

le temps :
Qu’as tu fait de moi ?
Je t’ai donné nombre de rendez vous que tu n’as pas honoré. Déjà à ta naissance, tu m’as fais faux bond !
Puis, tu n’étais pas là, absente, perdue dans tes pensées, ailleurs, en fuite.
Pendant tout ce temps, je t’ai attendu pendant des jours et des nuits.
Dis moi, tu faisais quoi au juste quand tu n’étais pas là ?
Je me suis senti trahi, méprisé, piétiné, rejeté, abandonné, refoulé, gâché. Tu as même voulu me tuer avant de te raviser juste à temps.
Ces rendez vous sont très précieux et je t’ai donné dix mille fois la chance de nous retrouver.

Elle
Si tu m’avais perdu, moi je n’avais pas envie de te perdre.
Parfois, j’avais des nouvelles mais je n’osais plus me présenter. J’avais fait de mauvaises rencontres.
J’ai essayé mais j’ai rebroussé chemin de peur d’être renvoyée.
C’est arrivé quelquefois que, par hasard nous soyons réunis...

le temps :
C’était heureux et tu me disais ne plus vouloir partir.
C’était plus fort que toi, tu t’échappais encore sans plus savoir à quel moment ni comment.

Elle
Moi aussi j’avais perdu ma trace. On n’appartient pas au même monde.
Alors prise de panique de t’avoir trahi à nouveau et je ne trouvais plus le chemin du retour.

le temps :
J’ai espéré tant que j’ai pu et toi tu es restée hautaine, lointaine. Maintenant j’ai atteint mes limites. Tu as dépassé la ligne.

Elle
Je te demande juste 5 mns.

le temps :
Quoi ? tu me demandes encore 5 mns ?
Alors pas une de plus et j’espère que je ne vais pas perdre mon temps.

Elle
Je veux trouver un accord et fêter le temps retrouvé.

le temps :
J’aurais tellement aimé te voir venir plutôt mais aujourd’hui je comprends que nous ne sommes pas de la même temporalité, à des années lumière !
Il te fallait du temps pour entrer dans la loi du temps.

Je te crois cette fois.

Christine


Je est un mystère.
Mystère qui me poursuit, de jour en jour, nuit après nuit, à chaque heure de ma vie.
Ma vie parfois m’échappe, d’autres fois me lance des clins d’œil, certains jours, en elle, j’échois.
Mes choix, j’ai cru longtemps qu’ils étaient, fiers, puissants et conquérants mais aujourd’hui je me demande s’ils ne sont pas que pure illusion.
Illusion de se croire maître ou plutôt maîtresse car j’ai décidé d’honorer le féminin.
Féminin pluriel en moi.
Moi... je ne sais pas, je ne sais plus.
Plus, encore plus que moi, il y a ma voix.
Ma voix, j’apprends à l’aimer, telle qu’elle est, telle qu’elle ne me plaît pas, telle que je la compare à ce qui serait un idéal, telle que je la voudrais, telle que je la hais.
Et pourtant, elle est ce qui vibre au plus profond, elle est l’air qui circule, elle est ce que j’aime, ce qui résonne de mes mémoires oubliées, faites de peines, de brûlures, de déchirures, de souffrances.
Souffrances absentes en ce jour, précieux, unique et sacré.
Sacré et versatile, je sais bien que demain sera autre.
Autre gouffre à traverser
Vers ces inconnues qui se déploient tels des restes de l’enfance et de ses jeux.
Je promets, je te promets, je ne t’abandonnerai pas.
Pas de vie sans ma voix, mes voix, toutes mes voix.
Vois, je suis mystère certes, mais en vie.
En vie et libre.
Libres envies.

Véronique


La balade des amis de là-bas

Mes très chers, un « mot déclaration », car déjà deux mois sans vous voir, sans partager vos verres, sans se coller trop nombreux sur un canapé parisien étroit. Trois anniversaires manqués, dont tes 30 ans, Anne-Cé, et pourtant on aurait tant aimé te gâter de cadeaux remis en mains propres même pas lavées au gel hydroalcoolique, faire des câlins à Bernie, admirer ta terrasse et Bagnolet de ta terrasse, plonger nos mains grasses de chips dans des saladiers communs, papoter en évoluant de chaise en coussin en debout. De bouts d’écrans en bouts d’écrans, au moins, on s’est fait signe qu’on était là. Las pourtant d’être distanciés, car ça va faire huit... Huit semaines qu’on se parle de loin, heureux au début parce qu’on en a profité, quelle aubaine, pour échanger avec les absents habituels, ceux qui vivent dans des contrées lointaines, soudain proches comme tous les autres - alors qu’on l’apprendrait rapidement, en fait c’était l’inverse : on était tous rendus aussi éloignés qu’on l’est habituellement des Canadiens ou Australiens. Australiens que j’ai pourtant été si heureuse de skyper, car ça faisait longtemps.

Temps difficiles, marathoniens, car ce n’est pas fini, mes chers amis, les restrictions continuent : ils ont dit pas plus de dix. Dix. Dix dans la même pièce, chiffre que je n’arrive pas à digérer. Gérer l’après, voilà notre nouveau défi : on s’est trompés, on attendait le déconfinement. Mens pas, toi aussi t’es déçu : t’avais pas prévu que ça serait toujours pas fini. Ni printemps, ni été cette année : oublions les apéros sur les quais, car avec des masques, impossible de boire, respirer ou bouffer. « Fais pas l’con », on se dit, on répète aux autres, on n’a pas fait tout ça pour annuler nos efforts en reprenant comme avant. Avant qui est si loin, 56 jours bientôt.

« Tôt ou tard on se reverra pour de vrai », notre nouveau mantra, on se serrera dans les bras, on dansera ensemble, on sentira la sueur des autres, leur haleine d’alcool, on prendra pour aller les retrouver des métros bondés qui puent, on respirera cette puanteur, on cachera nos nez derrière nos écharpes en pensant aux masques qu’on portait il n’y a pas si longtemps, et on sera presque nostalgiques de ces 56 jours, 8 semaines et 2 mois.

Moi, j’espère que je me souviendrai : toutes ces heures sans vous en vrai, avec vous en écran, dématérialisés, quand j’ai toujours su que j’étais une nana bien trop matérialiste. Liste, pour pallier à l’oubli, ce qui te manque aujourd’hui, tu le reliras un jour de métro. Trop envie de : sortir, se bousculer à la boulangerie, flâner sur l’herbe à côté de chez moi avec un bouquin, avec Lolo, avec vous, prendre un train pour sortir de Paris, planifier des vacances sans penser frontières ou risques, voir mes parents qui ne sont pas si vieux et ne pas craindre le pire et qu’il vienne de moi, faire des réunions de boulot dans une salle tous ensemble, je te jure ça me manque aussi, prendre mon vélo, mes jambes, ma liberté, pour aller au théâtre, au ciné, chez vous. Vous qui me manquez tant en vrai...

Joyce


ANGOISSE

A bientôt les rêves car depuis ce fameux jour, ils ont été échangés par la découverte de ce qui voulait dire danger,
Nauséabond danger devenu si invisible et effrayant tourmentant un quotidien douloureux et banal
Griffures banales pour combattre l’effrayante idée de mort au lieu de lutter pour une meilleure vie
Oh quelle vie ! Gâchée par une continuité de souffrances inconscientes
Inconscient désir qui se manifeste timidement par ce cri profond et silencieux
Silence ! Personne ne bouge ! Restons serrés…
Serré comme des pleurs dans une gorge triste et encombrée
Encombrements ! Je vous ordonne de décamper ! Allez voir ailleurs car les rêves sont de retour !

Jenny


IDIR

Quelle fierté d’être berbère, ce peuple épris de liberté
Où se mêlent pudeur et non-dits…

Berbère ! Une culture jonchée de nombreux interdits
Des hommes te les ont imposés.
Désireux de t’opprimer.
Prohibée l’écriture hiéroglyphique.
Défendu d’utiliser tes lettres et tes mots pour t’exprimer…

Idir émigré de Tizi Ouzou
Une si belle contrée bordée d’une cordillère
Un écrin de douceur et de dureté qui lui donne ce côté primitif
Tizi Ouzou forgée comme toi : indocile et irrésistible.

Jeune, ton désir de rejoindre cette métropole germe en toi
Vers cette terre d’exil où tous les rêves sont permis !
En chemin, tu portes sur ton dos une musette pleine de figues et de nèfles
Et tu emportes un coffret où tu déposes un peu de terre d’oliviers…
Pour te souvenir d’où tu viens.

Petite j’écoute tes douces mélodies
Qui me donnent toutes les fois une envie irrésistible de fredonner.
Oh Idir ! Quelle immense perte pour notre culture
Oh Idir ! Devenus orphelins nous ne cessons de te pleurer

Ceux qui ont eu l’honneur de te côtoyer
Lorsqu’ils te dépeignent dessinent un couvre-chef et une flûte
Emblèmes qui symbolisent ton être.

Berbère ! Une des bribes de mon identité de femme libre !
Nous, femmes nous te disons : merci
Tes poèmes en musique encensent nos mères, nos filles et nos sœurs
Et leur font honneur !

Les invisibles de cette société où les hommes dominent des femmes qu’ils enferment sous un voile sous couvert de religion ou de coutume
Ce tissu, lorsqu’il leur est imposé, est censé les protéger
Et n’a pour effet que de les étouffer.
Depuis quelques jours le ciel brille d’une nouvelle étoile
Elle se trouve proche de celle de ton frère de cœur Lounès
Tous deux, vous n’êtes plus de ce temps, le vôtre est infini
Riez ! Jouez ! Susurrez ! Etincelez ! ô doux rebelles !

SSendu, SSendu, tefkeded udi….

Nadia


Différent

Différent,
Dis, qui es-tu ?
De fer ou de fil ?
Qu’importe puisque ne demeurent que les éclats
Éclaboussures de mots sans paroles ;
De gestes vides
À force de ne trouver de peau à caresser
De larmes durcies de ne pouvoir couler
D’amours quittés avant qu’ils n’aient pu s’embraser.
Dis, feras-tu semblant ?
À coup de toujours pour ne plus dire jamais,
Comme un ordre qui s’abattrait…
Point de vertus pour panser les plaies…
Déserté de trop aimer…

Véronique


Consigne

Le 24 novembre 1960, Raymond Queneau et François Le Lionnais fondent l’Oulipo. L’un est écrivain, l’autre mathématicien, il a écrit un livre sur Les Nombres remarquables.
Le premier livre écrit en langue oulipienne est Exercices de style, publié en 1947, dans lequel Raymond Queneau écrit la même histoire sous 99 angles différents.
Puisque ce batifolage en Oulipo -Ouvroir de littérature potentielle- la fois dernière, vous a plu, nous allons continuer l’expérience…
Après le lipogramme ou le E malade, on va tenter l’anadiplose,
L’ana dit quoi ?
Euh…
Un peu de grec pour clarifier ? du grec ana « de nouveau » & diploos « double »
Très simple à vrai dire, pour anadiploser dans le juste corset de la contrainte il suffit de reprendre comme début de phrase la fin de la précédente…
Exemple : « Le néant a produit le vide, le vide a produit le creux, le creux a produit le souffle, le souffle a produit le soufflet et le soufflet a produit le soufflé. » Claudel, Le Soulier de satin, quatrième journée, scène 2.
« On songea à faire l’addition. L’addition était consternante » Camus, la Peste
Ça peut être aussi la dernière syllabe, voire le dernier son de la phrase précédente.
« Il était une fois un petit garçon. Son rêve était de devenir acrobate. ... Attention à la démonstration ! On l’imaginait déjà sur la piste... Istanbul serait la première ville où on l’admirerait : Resterait-il longtemps là-bas ?... Badaboum ! Le voilà par terre ! »
« Trois p’tits chats - chapeau d’paille - paillasson - somnabule... »
Doux casse-tête. Ce procédé d’enchainement vous entraine sur des phrases de traverse… Encore une fois, il vous faut un sujet chevillé au corps, car fond & forme vont se tirailler, ne pas être d’accord & vous, vous allez devoir concilier les deux, j’appelle ça, un stylo de fer, un vrai bras de fer entre forme & fond…
Rentrer en Oulipo, c’est faire une balade jazz, free jazz, faut accepter de ne pas être maître à bord, accepter l’angle mort, y plonger de bon cœur, en riant même, le sens vous rattrapera toujours & si votre sujet est fort, il ne vous quittera pas… Ou bien, vous naviguez à vue, au pifomètre, paff une phrase & après ? C’est la phrase, votre guide. En ce cas, qui écrit qui ?
Dans la forme de votre choix, poème ? Récit ? Monologue ? Sur un seul son surfer comme sur la comptine Trois p’tits chats ?
À vous de voir…
& pour vot’gouverne, sachez qu’il y a aussi, L’Épanadiplose, un exemple suffira.
« L’enfance sait ce qu’elle veut. Elle veut sortir de l’enfance » Jean Cocteau, La Difficulté d’être

& des pistes à suivre, un GIF en lien, à ouvrir, de pure poésie & une interview d’Hervé Guibert, lucide & tranchante...
À bon entendeur !


Photo de l’ombre sur le balcon

Sur un balcon par un jour d’un grand cagnard l’illusion au contour
Indéfini dans un abandon au doux parfum, un lutin glissant d’un toit,
Un caillou chutant du doigt. Oh trop bruyant !
Un chat, un lascar passant par hasard voulut nous sortir tous au parc.
Plaisant animal !
Sur un sol un mirabilis poussant la chanson fa mi do
Sol ni noir ni blanc, le poupon dans un pot balançait un pompon tout gris ou….chocolat !

Photo du lit

Un matin on avait fait un constat – il avait disparu.
Il n’y avait plus qu’un trou dans un lit à l’abandon.
Sans savoir pourquoi son corps n’apparaissait plus.
Pourtant il avait dit qu’il voulait pas mourir par un soir obscur.
La nuit l’attirait, lui susurrait des mots doux, lui offrait des bijoux.
Alors il choisit un jour cru, brillant pour partir.
On trouva plus tard la raison pour la volatilisation.
On a tant ri alors buvant un bourbon qui nous ôta le bourdon.

Stop, temps mort, je n’en peux plus, marre, ras le bol, assez je ne veux plus sans cesse courir après le temps.
Oui depuis la nuit des temps, on court, on court, on croit gagner
du temps et on le perd.
Où l’ai-je égaré ? Qu’est- il devenu ? Pourquoi ai-je perdu mon temps ?
J’essaie de le rattraper mais par les temps qui courent il a pris trop d’avance sur moi et en un rien de temps il m’a laissé sur place.
KO, mort, comme une loque, j’ai beau essayer d’être dans l’air du temps, rien n’y fait.
Mais le temps presse et je traîne, je me traîne au bord de la ville.
Je n’ose y entrer. Elle me fait peur.
Ses grandes bâtisses avec toutes ces fenêtres, avec derrière des yeux, avec des centaines d’yeux à me regarder.
Il y a beau temps que je ne suis rentré dans la ville.
Cette ville avait (a) subi un tremblement de terre, il n’y a que quelques années, pas très longtemps et c’était toujours dans la mémoire de la ville.
Depuis ce tremblement de terre il faisait un temps de chien, à ne pas mettre un chapeau dehors.
Et pourtant par tous les temps on me voyait traîner. En temps ordinaire je restais à l’extérieur de la citadelle, au bord, au bord même du temps.
Car je savais bien qu’en un rien de temps je pouvais me faire happer par cette ville, par ces murs, par ces regards, par ces portes fermées à double tour.
Les aiguilles d’une horloge me dardaient, elles, les maîtresses du temps. Elles me narguaient, me pointaient de leurs flèches, comme pour me dire « Allez le temps presse ! Dépêche-toi ! Décide-toi ».
Et en rien de temps je lui tournais le dos, me sauvais vers mon repère, hors du temps, hors du temps, hors de l’espace.
J’étais décidé, il fallait tuer le temps. C’était ma seule solution, mon unique façon de me sauver !
Et puis j’avais (j’ai) fait mon temps ! Aux suivants…

Textes anadipo-ziques
Léger, léger, léger, léger
Léger comme le vent
Vante- toi de ce que tu vis
Vis léger, léger
Léger comme le vent
Vends-toi au plus offrant
Offrandes bon marché
Marché de dupes
Dupés par le vent
Vent si léger, léger, léger.

Suzy


Rentrée des classes

Arrêt le 17 mars reprise le 17 mai.
Mais quelle est donc cette cabriole de pieds niclés ?
Nike-les toi-mêmes les chérubins des pupitres !
Plus pitres que vous, il n’y a pas pour sortir une pareille ânerie.
Anerie du bonnet vous aurez, et, irez de la classe au coin.
Coin dictée, coin lecture, coin manipulation mentale, coin repas, coin bouderie, coin récrée… Coincoin vilains petits canards !
Canard dé sur les potaches est plus facile que passer un savon au covid.
Covid ! Je vous présente le nouvel élève de ma classe.
Classe ifié dans la famille des cancrelats (dont on a du mal à se débarasser)
Débaras assez infecté, pour le moins qu’on puisse dire.
Dire et redire toute la journée « tousse dans ton coude »
Coude à coude prohibé.
Prohibé également le j’te touche.
Touche et coulé !
Coulé le collège qui ne se met pas dans le rang !
Rends ton cartable et va voir mon tuto.
Tu tobliges à faire les devoirs à la maison.
Maison close des nerfs en détresse.
Dé stress la rentrée peut être décalée et en attendant surfons sur la deuxième vague, la vague à l’âme.
Ame qui vive n’accepterait, que si elle est emballée sous cellophane et que si elle s’est lavé les mains à l’eau de javel.
Javelliser, aseptiser, on nous demande maintenant d’être hygiéniste.
Hygiène histe et haut le titanic qui prend l’eau !
L’eau bénite, Monsieur Propre, l’hydro alcoolique arrive en force
Force sera de constater qu’il n’y aura plus de crottes de nez collés sous les tables
Tables de multiplication à réviser pour les volontaires
Volontaires ! macaches ! « c’est pas moi, mdame, c’est mes parents qui ont voulu ! »
Voulu, un peu, voudront toujours plus
Toujours plus d’un peu de ma peau chaque jour
Chaque jour, dans ma classe « Qui a osé tousser ? dix heures de colle à la maison, j’appelle tes parents ! »

Julianna


Petite fille toute terne, à la recherche de couleurs, voulait être danseuse
Danseuse oui, mais pas n’importe laquelle : danseuse étoile !
Etoile, si gracieuse et légère qu’elle pouvait rester accrochée tout là-haut, dans le ciel, sans jamais toucher terre
Terre et colère
Colère, petite fille toute terne en était lourde, ça explosait, partout, dans son ventre, dans son cœur, dans sa tête et ça faisait mal dans tout son petit corps fébrile et sans couleur
Couleur rouge sang dont elle s’abreuvait dans ses morsures
Sûr qu’elle mordait et à pleine dents !
Dents qui voulaient croquer
« Croquer, mordre, c’est pour les bêtes » lui disait-on « Sorcière ! Vilaine ! »
Vilaine, c’est ainsi qu’on la surnommait à tel point qu’elle croyait que ce petit nom avait la valeur d’un mot doux, un diminutif à l’image des ito ou ita de l’espagnol
Olé !
Les pieds frappés au sol, les chants profonds qui déchirent la gorge, si les étoiles ne veulent pas d’elle, peut-être que le flamenco et les gitans, eux la verraient
Verraient qu’à l’intérieur de petite fille toute terne il y a de la lumière, vive et violente
Lentement, quand elle avait trop mal, petite fille toute terne, fermait les yeux et rêvait.
Rêvait d’une étoile qui ne quitte pas terre

Véronique


Parce que c’est moi qui décide

J’ai décidé de sortir…
D’aller danser et comme disent les jeunes : de m’éclater
Bien apprêtée, jolie tenue, maquillage soutenue
Un rouge à lèvre à faire pâlir le rouge d’un feu tricolore
Me voilà sur la piste de danse
Je virevolte tel un toréro dans une arène
Une sangria – deux sangria – trois sangria
Je connais mes limites ! Je m’arrête
Avec le temps j’ai appris ! Je me contrôle !
Parce que c’est moi qui décide…
Un taureau arrive ! Quel étalon !
Je ne vais le laisser s’échapper
Je tourne autour de lui
Je virevolte autour de lui
On tourne et on se retourne
Deux temps, trois mouvements
Puis j’entends :
« J’habite tout près, suis-moi »
Vous penserez, est-ce raisonnable ?
Je répondrai : à 50 ans : est-ce le temps d’être raisonnable ?
Dans la chambre un lit domine la pièce
Je me jette sur ce lit complétement défait
Je me faufile sous les draps tout froissé
On les déroulent, on s’enroulent,
Ils finissent en boule !
Je sens l’alcool, il sent le tabac
Je prends du plaisir – je donne du plaisir.
Puis tout s’arrête – il est 4 heures du matin
Il dort – non il ronfle
Le glamour s’en est allé avec la levée du jour…
Je me lève, sans bruit – sur la pointe des pieds – mes Louboutin à la main
Je m’approche de la table de nuit
Je dépose 50€ - cela suffit !
Je vous l’ai dit : parce que c’est moi qui décide…

Atika


Dis, est-ce que tu m’aimes encore ? Encore comme avant ? Avant cette période de confinement ? Finalement ça nous a rapproché non ? Non tu crois pas ? Parler des heures de l’avenir incertain qui nous attend... Tenter d’imaginer le camion aménagé, la micro ferme d’artistes, de copains, de montagne et d’océan ? En toi ça résonne comment ? Ment pas, dis moi, on s’en fout de ne pas correspondre à des schémas classés de couples rangés. Génération qui déconstruit, c’est ça qu’on s’est dit ? D’imaginer ensemble c’est quoi être amoureux et libre ? Libre d’essayer de faire autrement... Ment pas j’t’ai dit et raconte c’qui te traverses quand t’es pris par l’angoisse de perdre ton indépendance. Danse pour moi, dis le moi dans la danse et on verra bien.
Bien sur je flippe de ce qui nous attend, le risque et le rêve c’est un pari ! Ri si tu veux à mes larmes, tu es encore là, et moi aussi. Si vivre c’est respirer ensemble alors respirons ensemble mais j’ai compris, ne nous étouffons pas. Pars, je te rejoindrais, tu rentrera, on s’arrangera. 
A chaque étape on grandit, on s’accompagne et regarde, on s’aime encore ?

Encore. Encore. Encore. 
Encore ton corps tes mains ton dos ton rire toi. 
Toi qui est différent de moi. Moi qui ne dois ni te posséder, ni te garder, ni t’empecher, mais juste t’aimer. T’aimer comme on aime sa propre liberté. T’aimer comme on aime l’oiseau qui n’a pas de cage. Je veux encore pouvoir te voir t’envoler.

Sonteng


En ce moment, je me demande comment rester tolérante depuis que je vois le monde à travers des prismes. Prisme féministe, prime anticolonialiste, prisme décroissant, prisme en veux tu en voilà...
Là, justement, ça déborde et ça me saute à la gueule. Guelarde comme je suis j’ai du mal à la fermer. Fermer ma grande gueule se serait comme rester de marbre face à toutes les injustices. Injustices qui sont d’autant plus fortes depuis que nous sommes à l’arrêt, que les médiats vomissent la sécurité, que le masque est devenue protection, qu’à 20h c’est cris au balcon...

Con de croire qu’il suffit de gueuler pour se faire entendre.
Tendre un fil entre les arbres ça calme, ça donne plus de forces que des discours. Court loin de moi les formules qui veulent convaincre face à un corps qui touche. Touche là où les mots deviennent des émotions. Des émotions qui sont difficiles à expliquer nous qui devons tant être cohérent. Et rentables, bien sur. 
Sur un fil, avec ma grande gueule et mes prismes, je laisse place à mes bras, à mes mains, à mes pieds, j’abbandonne le langage civilisé aux autres. 

Autrefois j’aurais pu rugir ma colère et la jeter en cadeau aux passants. Sans sentir que ce que je pouvais partager ce n’était pas des paroles mais du corps en mouvement. 
Mouvement comme réponse à ces prismes qui déclenchent en moi le besoin de crier. Crier avec mon corps comme réponse au capitalisme exploitant. 
Tant que je peux courir sur un fil, démontrer l’équilibre sur lequel nous tenons tous et toutes et cette fragilité sur laquelle nous vivons tous et toutes je deviens corps métaphore de ma colère. 
Colère qui prend l’allure d’une danse en suspension.

Sonteng


Je est un mystère.
Mystère qui me poursuit, de jour en jour, nuit après nuit, à chaque heure de ma vie.
Ma vie parfois m’échappe, d’autres fois me lance des clins d’œil, certains jours, en elle, j’échois.
Mes choix, j’ai cru longtemps qu’ils étaient, fiers, puissants et conquérants mais aujourd’hui je me demande s’ils ne sont pas que pure illusion.
Illusion de se croire maître ou plutôt maîtresse car j’ai décidé d’honorer le féminin.
Féminin pluriel en moi.
Moi... je ne sais pas, je ne sais plus.
Plus, encore plus que moi, il y a ma voix.
Ma voix, j’apprends à l’aimer, telle qu’elle est, telle qu’elle ne me plaît pas, telle que je la compare à ce qui serait un idéal, telle que je la voudrais, telle que je la hais.
Et pourtant, elle est ce qui vibre au plus profond, elle est l’air qui circule, elle est ce que j’aime, ce qui résonne de mes mémoires oubliées, faites de peines, de brûlures, de déchirures, de souffrances.
Souffrances absentes en ce jour, précieux, unique et sacré.
Sacré et versatile, je sais bien que demain sera autre.
Autre gouffre à traverser
Vers ces inconnues qui se déploient tels des restes de l’enfance et de ses jeux.
Je promets, je te promets, je ne t’abandonnerai pas.
Pas de vie sans ma voix, mes voix, toutes mes voix.
Vois, je suis mystère certes, mais en vie.
En vie et libre.
Libres envies.

Véronique


La balade des amis de là-bas

Mes très chers, un « mot déclaration », car déjà deux mois sans vous voir, sans partager vos verres, sans se coller trop nombreux sur un canapé parisien étroit. Trois anniversaires manqués, dont tes 30 ans, Anne-Cé, et pourtant on aurait tant aimé te gâter de cadeaux remis en mains propres même pas lavées au gel hydroalcoolique, faire des câlins à Bernie, admirer ta terrasse et Bagnolet de ta terrasse, plonger nos mains grasses de chips dans des saladiers communs, papoter en évoluant de chaise en coussin en debout. De bouts d’écrans en bouts d’écrans, au moins, on s’est fait signe qu’on était là. Las pourtant d’être distanciés, car ça va faire huit... Huit semaines qu’on se parle de loin, heureux au début parce qu’on en a profité, quelle aubaine, pour échanger avec les absents habituels, ceux qui vivent dans des contrées lointaines, soudain proches comme tous les autres - alors qu’on l’apprendrait rapidement, en fait c’était l’inverse : on était tous rendus aussi éloignés qu’on l’est habituellement des Canadiens ou Australiens. Australiens que j’ai pourtant été si heureuse de skyper, car ça faisait longtemps.

Temps difficiles, marathoniens, car ce n’est pas fini, mes chers amis, les restrictions continuent : ils ont dit pas plus de dix. Dix. Dix dans la même pièce, chiffre que je n’arrive pas à digérer. Gérer l’après, voilà notre nouveau défi : on s’est trompés, on attendait le déconfinement. Mens pas, toi aussi t’es déçu : t’avais pas prévu que ça serait toujours pas fini. Ni printemps, ni été cette année : oublions les apéros sur les quais, car avec des masques, impossible de boire, respirer ou bouffer. « Fais pas l’con », on se dit, on répète aux autres, on n’a pas fait tout ça pour annuler nos efforts en reprenant comme avant. Avant qui est si loin, 56 jours bientôt.

« Tôt ou tard on se reverra pour de vrai », notre nouveau mantra, on se serrera dans les bras, on dansera ensemble, on sentira la sueur des autres, leur haleine d’alcool, on prendra pour aller les retrouver des métros bondés qui puent, on respirera cette puanteur, on cachera nos nez derrière nos écharpes en pensant aux masques qu’on portait il n’y a pas si longtemps, et on sera presque nostalgiques de ces 56 jours, 8 semaines et 2 mois.

Moi, j’espère que je me souviendrai : toutes ces heures sans vous en vrai, avec vous en écran, dématérialisés, quand j’ai toujours su que j’étais une nana bien trop matérialiste. Liste, pour pallier à l’oubli, ce qui te manque aujourd’hui, tu le reliras un jour de métro. Trop envie de : sortir, se bousculer à la boulangerie, flâner sur l’herbe à côté de chez moi avec un bouquin, avec Lolo, avec vous, prendre un train pour sortir de Paris, planifier des vacances sans penser frontières ou risques, voir mes parents qui ne sont pas si vieux et ne pas craindre le pire et qu’il vienne de moi, faire des réunions de boulot dans une salle tous ensemble, je te jure ça me manque aussi, prendre mon vélo, mes jambes, ma liberté, pour aller au théâtre, au ciné, chez vous. Vous qui me manquez tant en vrai...

Joyce


Consigne

ÉPITHALAME appelé aussi
LE BEAU PRESENT

épithalame, du grec épi, « sous, près de », & thalamos, « chambre »,
« chambre nuptiale, lit »

Qu’est ce qu’un Beau Présent ?
C’est un cas particulier d’Anagramme.
Un anagramme est un mot mélangé, ex : Marie / Aimer- Ancre / Nacre

Le Beau Présent, c’est un présent, un cadeau- votre meilleur ami se marie, vous n’avez pas un sou, vous avez mieux : votre plume, vous prenez son nom & vous le tordez dans tous les sens, drôle de façon de faire mais attendez la suite, des lettres de ce nom, vous construisez un texte, un poème plus précisément, à partir des seules lettres de son nom…
Dans le cas présent, je propose un Beau Présent en l’honneur de votre auteure/auteur- préférée (é) vous prenez nom & prénom, & vous mélangez le tout à votre nom & prénom & vous en sortez des mots...
Plus il y a de lettres, mieux ça vaut, ex : Tavernier/tare/vert/verni/rave/ravir/nier/rien/river/Rita-

Le mariage est une histoire de fusion, donc formellement c’est d’une justesse irréductible, tu prends mon nom, je prends le tien… Jusqu’à devenir un seul corps en certaines circonstances que nous tairons…

Vous pouvez commencer par un poème… Le poème, c’est ce qu’il y a de plus facile quand on est enfant et de plus difficile quand on est adulte, il s’agit de capturer l’éclair du verbe. Le poème, c’est l’enfant de l’écriture.

Ceci entraînant cela, il se peut que vous ayez besoin d’une lettre ou de deux lettres, pour aboutir au texte qui vous ressemble, aussi, je vous propose la Lettre Joker, mais à condition qu’à la Arthur Rimbaud, cette lettre, voyelle ou consonne, vous lui rendiez hommage.

Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

Arthur Rimbaud

& dans la marge ou bien en bas de page, vous glissez votre ode à la lettre vitale, comme une note…

Dans l’ouvroir de littérature potentielle, il s’agit de combiner rigueur formelle & joie d’écrire. Jubilation. Si la mort se présente dans vos textes, elle doit pétiller comme le dernier champagne !

Petite variante, vous pouvez aussi écrire un épithalame en l’honneur d’une personne détestée, histoire de conjurer peut être cette détestation, hop petit mélange anagrammatique entre son nom & le vôtre & le tour est joué !
Allez savoir…

Ci joint, un lien, hommage à Jacques Roubaud-
Poète, écrivain, mathématicien français. Membre de l’Oulipo, il a fait une œuvre abondante, livres de prose, de poésie, des écrits autobiographiques & des essais.
Né en décembre 1932 & bien vivant, 87 ans-

« Ô hymen ! Ô hyménée ! » scandait dans l’ancienne Grèce la marche des époux vers la demeure du mari ; ce cri devint le refrain de l’épithalame ou poème ou chant choral en l’honneur des mariés.
Le psaume XLIV de David & le Cantique des cantiques sont parfois considérés comme des épithalames ; on attribue à Hésiode, l’un des premiers épithalames, en l’honneur de Thétis & de Pélée.
Pélée époux de la néréide Thétis ; les dieux assistèrent au mariage qui se déroula sur le mont Pélion & ils apportèrent de nombreux présents en particulier une armure invincible & deux chevaux immortels, Balios Xanthos…

Dernière chose, écrire, c’est apprendre à être bilingue dans sa propre langue. Ce type d’expérience vous apprend à quitter votre langue, de façon à en trouver une Bis, plus à votre mesure ou démesure…

À bon entendeur !


Epithalame

Paris, Belle ville où turbine le poète
Casquette sur la tête et la clope à la lèvre
Préférant à l’étude les prés du boulevard
Canaille des jardins, ignorant le Sénat.

Quai d’Seine, humant les roses, les pivoines, les lilas
Le poète amoureux, rimant et rimaillant
Laisse parler son cœur et riant de son tour
Ouvre l’une après l’autre les cages à l’oiseau.

Il dit non à la guerre, dédaigne la prière
Insoumis du 20e, esquisse l’exquis cadavre
Puisse-t-il être celui du bourgeois humiliant
Rêve d’une trêve libertaire, anar coco l’artiste !

Christine


Lola Lafont

Julia Brisset Troulard

Toutes sont làs

Au bord des routes

Au fond des forets

Sous les foulards

Des filles libres et têtues.

Elles tissent

Elle luttent

Elles font

Elles osent



Les filles du bout, rien ne les arrêtera.

Je les sens la nuit, sur les toits

La fierté font d’elles des stars.




Virginie Despentes

Julia Brisset Troulard



J’avais la rage Virginie, 

à l’agonie, en survie, lourde d’angoisse.

J’avais la rage et je t’ai lu.

Tes idées pleines de luttes

Ont Inondés mon être.



Tu as dit "le viol ne te défini pas".

De la pente en bas, d’un coup vivante j’étais

J’ai Pris le large, loin des terres rouges sangs

j’ai Trouvé la gloire

Lourde de révolte

tu as guidé mes pas

j’ai ouvert la gueule

j’ai joui sale

J’ai été reine et roi

J’ai banni la vierge et la peur.


Tu as dis" on se lève et on se barre"

Gladiateuse tu es

Seule Je ne serais plus


Julia


Portfolio

Informations

Les ateliers d’écriture ont lieu les jeudis de 18 h à 20 h.

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