Séminaire

Quand les gestionnaires volent la mémoire du social

mercredi 2 mars 2011 à 20 h

rencontre débat

animé par Michel Chauvière, sociologue et politiste, directeur de recherche au CNRS, membre du CERSA, université Paris 2.

Ne pas confondre histoire et mémoire, mais défendre la place de ces deux pratiques. La première vise un travail d’objectivation très professionnalisé, avec des méthodes scientifiques éprouvées et réfutables. La seconde, loin d’être la simple commémoration d’une sélection de faits du passé, introduit surtout la nécessité de lire l’histoire pour la faire vivre, celle-ci ne parlant jamais d’elle-même.
C’est pourquoi, il y a toujours eu des controverses sur les leçons de l’histoire. Or, l’une des voies actuelles chez nos décideurs/gestionnaires est de nier l’emprise de l’histoire sur nos pratiques et de déclasser la mémoire des acteurs autant que celle des murs. A minima, ils cherchent à la renvoyer dans les universités, les musées ou les académies.

Les trois mémoires du social
La mémoire des luttes visibles et invisibles.
Pas de social sans acteurs, sans confrontation des intérêts, sans succès, échecs et solutions oubliées. Ni les politiques d’assistance qui constituent, aujourd’hui encore (voir le RSA), le socle de notre modèle social, ni la Sécurité sociale, ni les avancées sur le traitement de la délinquance juvénile, le handicap, l’insertion ou les immigrés n’ont été obtenus sans toutes sortes de luttes parfois longues et en général trop peu connues.

La mémoire des constructions fragiles
Pas de social non plus sans solutions réformistes plus ou moins stabilisées, plus ou moins durables. C’est vrai dans le domaine des droits positifs (nos droits sociaux sont des droits créances qui créent d’abord des obligations pour les pouvoirs publics, avant d’en créer pour les professionnels et pour les bénéficiaires), des institutions (à ne pas confondre avec des organisations, encore moins avec des entreprise) et des conditions de possibilité de la pratique des hommes et femmes de terrain, professionnels et parfois non professionnels.

La mémoire des pratiques au plus près et à bonne distance
Pas de social sans pratiques, c’est-à-dire sans inventions de solutions tout à la fois singulières, casuistiques et nourries de nos convictions et engagements personnels et collectifs (la loi 1901 est à cet égard de toute première importance), des sciences sociales et humaines dont nous sommes les héritiers (et dont le déploiement est contemporain de celui du social) et d’un permanent travail d’analyse et de partage (à conditions de préserver des lieux et de temps pour s’y consacrer).

Les dégradations du social privé de son histoire
Le service, le choix versus le risque, la qualité
L’idéal de service (souvent d’origine religieuse mais républicanisé dans le cadre du service public) n’est plus. À sa place, on a substitué un idéal marchand ou quasi marchand d’offre de services, visant des cibles, avec des contrats, comme si le contrat garantissait la solidarité. Le bénéficiaire est sensé avoir le choix, sachant que les risques sont maintenant pour lui. La qualité devient le totem de ce nouveau montage. L’individualisme consumériste l’emporte sur le « faire société ».

De l’amour du métier à la contrainte de résultat, de performance, de satisfaction des usagers
Sous l’effet du New public management, l’amour du métier est décrié (corporatisme) et déclassé (affaiblissement du salariat). Le personnel d’un établissement, même non lucratif, devient sa ressource humaine, qui s’achète sur le marché de l’emploi. La formation y prépare. Ressource parmi les ressources, l’humain au travail est plus que jamais sommé de se soumettre aux objectifs fixés par l’organisation, de rechercher une performance mesurable et la satisfaction des usagers, nouvelle légitimité de tout.

L’évaluation comme nouvelle police des comportements professionnels
Dans ces conditions historiques, l’évaluation ne doit pas être comprise comme un utile retour réflexif sur la pratique pour l’améliorer (ce n’est pas un outil d’analyse des pratiques), mais l’outil de la nouvelle police du travail, selon les objectifs fixés par les organisations, dans le cadre financier contraignant que nous connaissons. L’évaluation c’est du pouvoir qui se veut savoir. Mais c’est un pauvre savoir, qui ne s’inscrit plus dans la longue histoire des idées sociales, pour réduire la complexité du monde, mais dans l’utilité immédiate et synchronique des dispositifs.

Par quelle voie réinscrire le social dans l’histoire collective ?

Michel Chauvière

Informations

Entrée libre

 prochaines dates
mercredi 6 avril 2011
mercredi 25 mai 2011

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