Arts numériques

Vers un nouvel Esperanto du net ?

Du 11 au 19 octobre 2002

Soirée spéciale le vendredi 11 octobre 2002 à 20 h 30

Magali Claude et Armèle Caron
du 11 au 19 octobre 2002

Le mot se transmet et se transforme. Ces transformations sont multiples et s’inscrivent également dans le champs des nouvelles technologies. Ce Dialogue cherche à s’interroger sur ces nouvelles mutations, tant sur la question de cet anglais international quasiment incontournable que sur les codes universels de développement en usage. Assisterions-nous ainsi à la naissance d’un dictat ou d’une forme d’Esperanto ?


Vers un nouvel espéranto du Net ?
vendredi 11 octobre 2002 à 20 h 30

Dialogue avec Armelle Caron, artiste qui s’interroge sur la transformation phonique du mot, Anne Rocquiny, spécialiste du Net-Art et des mises en réseaux, et Magali Claude qui travaille au plus près la notion de Rumeur et ses métamorphoses en texte ou en image...

Compte-rendu de la rencontre
L’Esperanto (celui qui espère) est une langue auxiliaire internationale créée vers 1887 par Ludwik Zamenhof, médecin et linguiste juif polonais. Volonté utopique d’unifier les êtres par une langue commune afin de lutter contre le racisme. Rêve d’un seul homme, une langue ne peut aboutir à l’universalité. Une langue est collective, elle se nourrit de toutes les singularités...

Qu’espérons-nous du Net ? Voilà la question... Est-ce le vecteur d’un langage figé, uniforme, universel ou plutôt la mise en relation d’une multitude de langages en échos... Qu’attendons-nous du Net ? Y-a-t-il un ou plusieurs espéranto ? Y-a-t-il un langage nouveau, une nouvelle façon de nouer les mots, l’apparition de nouveaux codes internationaux nous permettant de nous comprendre, de communiquer, hors de notre langue propre ? Y-a-t-il une langue propre et une langue Net ? Et cette langue Net est-elle nouvelle ? Et comment la lire ?

Il semble que l’anglais soit la langue dominante du Net mais cette langue est soutenue et entourée par de multiples codes : en premier, les langages informatiques (Java, Html), modes d’affichages utilisés et connus par les praticiens du Net ; en second lieu, les codes de communication comme les smileys et certaines abréviations... En fait, l’esperanto du Net serait plus lié au support même d’Internet, la mise en réseau, la mise en relation, et non un langage nouveau accessible à tous. Le médium Internet est en soit un esperanto formel qui véhicule toutes sortes de langues, parmi lesquelles des expériences artistiques. Anne Rocquiny évoque la foire aux mots clés de Magali Debazeilles (Key-words.info) et le projet Cosy-Corner, une œuvre d’art collective qui utilise le langage commun de l’art (vidéo, photographie, peinture) et celui du corps (danse).

S’il y a esperanto, c’est aussi celui du langage numérique fait de 1 et de 0, des codes informatiques. L’aventure de Linux à ce propos est exemplaire... Ce système inventé par un finlandais a été amélioré par des informaticiens de nationalités différentes selon le principe de la licence Gnu proposé par Richard Stallman, c’est-à-dire ce qu’on appelle le Copyleft, une propriété intellectuelle ouverte à tous, ouverte à toutes les propositions venant de l’extérieur pour améliorer le système ou le logiciel. En Art, depuis deux ans, il existe la même chose, la licence Art Libre, Armelle Caron et Anne Rocquiny soutiennent cette expérience dans les milieux artistiques. Le code source est ouvert à tous mais peu de personnes savent le déchiffrer, le lire. Cette liberté de Linux reste une affaire de spécialistes du Net, une aventure libre internationale qui reste avant tout élitiste. Au niveau de l’utilisateur de base, la langue commune pour communiquer dans le monde est l’anglais. D’ailleurs, les artistes qui travaillent sur le Net sont obligés de montrer leurs œuvres en anglais pour que la diffusion soit satisfaisante. C’est le cas ici de Magali Claude sur son travail sur les Rumeurs. L’anglais serait donc devenu incontournable dans le milieu de l’art pour avoir un public, une écoute ? Ou est-ce un leurre du support ? A nous de nous interroger sur cette prédominance de l’anglais...

Je voudrais maintenant m’arrêter sur la rumeur qui me semble être un élément important de l’esperanto du Net. La rumeur a pour but la peur, la panique ou la farce, le canular (Hoax en anglais). La rumeur est politique, économique surtout. Les bourses regorgent de rumeurs. Arme de propagande, elle cherche, à travers le bruit qui court, à déstabiliser, à créer de la panique en valeur ajoutée, à blesser, voire à détruire... Je pense à Adjani venant au Journal de 20 h démentir son décès mis en rumeur. Je pense au film de Fritz Lang, Furie, où un homme est lynché parce que le bruit court qu’il est un assassin. La violence de la rumeur est admirablement filmée. Les gros plans des personnes qui se refilent le faux message, de bouche à oreille, dans un montage très cut. Fritz Lang dans ce film s’attaque à toute forme de fascisme. Car la rumeur est une arme pour contrôler l’opinion. On se souvient de l’incendie du Reichtag en 1933 où les auteurs nazis de ce crime accusent les communistes pour les discréditer et les poursuivre. Créer du désordre, déstabiliser, inquiéter, voilà les objectifs des rumeurs...

La rumeur est proche de ce qu’on a nommé la désinformation, la volonté de faire circuler des informations médiatiques afin de déstabiliser l’opinion : Les rumeurs sur Ben Laden et le Mollah Omar, la rumeur comme quoi aucun avion n’a atteint le Pentagone le 11 septembre... On remarque aisément que la Rumeur fonctionne sur l’absence de preuve et a donc un fondement anti-historique. Elle joue sur l’affect et non sur la raison. Elle surfe sur l’événement. La rumeur est le revers de l’information, l’intox. Elle transforme le faux en vrai et joue sur l’ignorance. Le négationnisme est le travers le plus dangereux de la rumeur. La rumeur fonctionne aussi et surtout sur le fait que nous avons à faire au « secret généralisé », une des cinq roues du spectaculaire intégré analysé par Guy Debord.

Magali Claude, dans son projet « Avatars : Rumeurs », utilise des rumeurs concernant l’environnement, le monde et interroge nos facultés de perception face à l’inconnu. Elle montre aussi qu’une rumeur en appelle une autre. Que les rumeurs se nourrissent d’elles-mêmes, se succédant sur l’écran, dans une logique de répétition...

Aujourd’hui, pour ce débat, nous avons trois femmes qui s’interrogent sur ces nouvelles spécificité du langage sur Internet. L’art et la mise en réseau de l’art leur permettent de détourner les langages, les codes (Rumeurs, Mots, Formes), de déstabiliser l’écriture et la lecture, de faire jouer de nouvelles combinaisons. Par leur pratique, elles pensent aussi le support qu’elles utilisent ; elles dévoilent les failles d’un système réinventant un langage autre...

Armelle Caron nous présente son travail et ses recherches qui tournent autour d’un système de lecture aléatoire et d’un logiciel « Mu-Tex » mettant en parallèle le texte et la musique, un système de transposition de l’écrit en partition. Anne Rocquiny nous fait part de son expérience au sein du Net-Art et de ce qu’elle entend par « Esperanto du Net ». Et nous terminerons par les Rumeurs mises en images de Magali Claude...

Lionel Dax - 11 octobre 2002

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