Brisa Roché & Fred Fortuny

Il n’est pas difficile de faire fausse route à propos d’un disque aussi brillant, aussi impressionnant (au sens propre du terme) que celui-là. Pas difficile d’imaginer une sorte de scénario idéal... qui n’a en réalité jamais existé. Dans cette histoire fantasmée, un musicien sachant tout-jouer-tout-écrire, le parisien Fred Fortuny, aurait rêvé d’un album « très américain », quelque chose de scintillant, de beau comme un lever de soleil sur les côtes brumeuses de la Californie au milieu de l’hiver.

En héritier des grands compositeurs du Brill Building (l’usine à hits pop de New York dans les années 60), Fred Fortuny aurait alors choisi la plus belle des voix américaines résidant en France, la puissante Brisa Roché, et lui aurait dit, sur un ton très Spectorien : « Écoute baby, j’écris tout, et toi tu chantes, ok ? » Puis, en quelques nuits blanches et fulgurances vaguement alcoolisées, le compositeur-arrangeur aurait posé son œuvre magistrale sur papier millimétré, et quelques jours plus tard, dans un studio éclairé à la lueur des bougies, la voix miraculeuse de Brisa aurait donné vie à la partition du Maestro, à la note près. Et boum : chef d’œuvre. Sauf qu’en fait, ça ne s’est pas du tout passé comme ça ! D’abord parce qu’entre Brisa et Fred, entre Fred et Brisa, il n’y a pas de « mentor », pas de « tycoon » auto-proclamé menant l’autre à la baguette. Il suffit de partager un café avec ces deux camarades de jeu à la complicité flagrante pour comprendre à quel point l’égalité, l’équité, le respect de l’autre, l’art de l’écouter, de l’entendre, l’art de l’accompagner dans sa musicalité, sont au coeur de ce qui se trame entre eux. Alors oublions cette histoire de Maestro visionnaire et de chanteuse des sixties, et revenons au réel : nous sommes bien en 2020, et oui, ce disque remarquable est bien de 2020 ; même si on vous le concède, il sonne déjà comme un classique. De la même manière, cette relation musicien/musicienne est tout ce qu’il y a de plus contemporaine : conjointement désirée (ils en parlaient depuis des années), ultra-équilibrée, ultra-franche, et même parfois désopilante... Il faut dire qu’en lieu et place d’un autoritaire Phil Spector téléporté à Paris, c’est plutôt à une sorte de Droopy post-moderne que fait penser Fred Fortuny, jamais le dernier à mettre en doute ses capacités et son talent pourtant éclatants. À ses côtés, Brisa Roché, assurée, réfléchie, quintessence de femme charismatique, n’a rien de la muse effacée se contentant d’interpréter les notes d’un autre. Personne, ici, n’est le faire-valoir de l’autre : le beau bébé joufflu a deux parents très fiers. C’est à la fois touchant et très joyeux. « On n’avait pas imaginé que le résultat final serait aussi réussi », s’amusent-ils dans un même souffle de voix.

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