Johnny Guitar

« Dans Johnny Guitar, Nicholas Ray suit toutes les conventions du western, au point d’en faire vibrer les éléments comme les morceaux d’un décor où le paysage américain est rejoué. Les répliques elles-mêmes sont parfois jouées sur un ton détaché. La nouvelle technique du Trucolor magnifie ces éléments de décor. Et pourtant, bien des éléments sont en même temps inversés : costumes noirs et blancs qui neutralisent les couleurs, un héros spectateur sans arme, des femmes qui mènent la danse et finissent par se battre en duel. Cette inversion est aussi celle de la propriété : alors que la lutte se concentre entre deux formes de possession (grands éleveurs contre petits propriétaires, territoires marqués par les grands troupeaux contre pays ouvert par le chemin de fer), le film finit par valoriser la dépossession et l’errance, le rêve du futur ou la fidélité au passé plutôt que la présence de ce qui est possédé et figé. Le peuple, même dans son rôle sacrifié, devient une figure du lien affectif de la véritable politique. Il faudra alors prendre la mesure de la passivité du « héros » (Johnny avec sa guitare en place d’arme) pour mieux réfléchir à la légendaire « passivité du peuple » dans la construction de la nation américaine. »

Éric Méchoulan