L’homme nu. Volume 3/3 : Arts de faire
du 24 septembre au 15 décembre 2007
Commissaire d’exposition : Aurélie Voltz
Artistes : Quentin Armand, Matti Braun, Luca Francesconi, Rolf Graf, Sebastian Hammwöhner, Emil Holmer, Maria Loboda, Mathieu Mercier, Gyan Panchal.
Après Allures anthropomorphes, consacré à la représentation humaine et Paysages visités, dédié à l’environnement, le troisième volet de cette trilogie entend traiter du mode de vie de l’homme. Une collection d’objets liés à l’habitat, l’outillage, l’armement, la pratique religieuse ou la superstition évoquent autant de rituels quotidiens, empruntés à différentes cultures. Si ces objets évoquent parfois une certaine fonctionnalité, celle-ci est pourtant entravée, biaisée, réinterprétée, tendant largement vers la sculpture.
Selon Michel de Certeau, la culture populaire se formule en « arts de faire ceci ou cela », une manière de penser investie dans une manière d’agir, un art de combiner indissociable d’un art d’utiliser » [1]. Bricolages poétiques, les œuvres réunies dans cette exposition sont en effet issus de combinaisons formelles inattendues, de croisements culturels bien étranges, d’associations improbables d’histoires et de légendes, mais aussi de rites en devenir et d’outils prêts à être activés. Du côté des armes, la « Mobilization Table » d’Emil Holmer présente un attirail de bombes insecticides, de haches et de pointes, outils qui semblent indifféremment tranchants en métal ou en mousse. Elle est selon l’auteur une réserve d’énergie. La rencontre de matériaux aux antipodes ainsi que la mise en ordre rudimentaire mais appliquée des outils accroissent sensiblement la violence d’un tel dispositif. Parallèlement, la sculpture de Mathieu Mercier, officieusement appelée le « Fémur », donne le ton d’un matériel plus reculé, plus primitif, l’os ancêtre de l’outil. Ce curieux alliage entre une boule de pétanque et un tube d’acier, liés par une soudure surdimensionnée, répond aux questionnements de l’artiste quant au principe de collage : quand deux objets sont assemblés, un troisième vient au monde. Face à cet équipement guerrier, l’œuvre de Rolf Graf peut jouer le rôle d’abri. Quelqu’un semble s’être approprié un tas de bois coupé pour s’inventer un recoin : une niche en plâtre, imbriquée dans les rondins comme un nid de guêpe vient se ficher dans un mur. Trop petite pour y accueillir un homme, elle déploie pourtant des accents domestiques certains, renforcés par une décoration intérieure miroitante. Penchant vers l’artisanat, les sculptures ciselées de Matti Braun ont une histoire particulière : autrefois en Finlande, les hommes avaient coutume de réaliser des objets décoratifs en offrande à leur future femme. Ceux-ci servaient souvent aux travaux manuels, par exemple pour filer la laine. Ici réinterprétées, ces sculptures portent la marque d’ornementations aux origines diverses :asiatiques aussi bien que sud-américaines. Le véhicule de Gyan Panchal, comme souvent dans son travail, combine des matériaux synthétiques à une forme primaire. Deux disques aux dimensions inégales sont reliés à un essieu central, tendant à la fois du côté de la composition géométrique que d’une sculpture figurant l’ancêtre de la charrue. Les roues biaisées et imparfaitement rondes donnent l’impression d’un objet inachevé, figé, dans l’attente d’une mise en route. Afin de protéger son antre des mauvais esprits, les Indiens d’Amérique ont inventé des « Dreamcatchers ». Luca Francesconi a recomposé ces filets censés filtrer les rêves pour ne retenir que les bons, à partir d’éléments issus de sa région natale, dans la vallée du Pô. Animaux, plantes mais aussi roues de vélo et corde en nylon donnent le ton d’un monde contemporain populaire inscrit dans un environnement naturel et bucolique, à la frontière d’un fleuve. L’arrangement des chardons sur les rayons évoquent autant de constellations nocturnes. La rencontre de matériaux contemporains et traditionnels est également le point d’ancrage de l’installation de Sebastian Hammwöhner, combinant une chaise en plastique brûlée en son centre, un quartz et une peau de bête cousue main, sur laquelle elle repose. Cet étrange arrangement, comprenant une pierre précieuse en lieu et place de l’homme et un élément animal relève presque de la sorcellerie. Enchevêtrement de techniques artisanales, de folklore et de mythologie, son travail croise les histoires, les traditions culturelles et les références à l’histoire de l’art. Le « Collier de géant » de Quentin Armand, figurant une immense amulette, se place davantage du côté de l’imaginaire que de la superstition. Venu sans doute d’un hasard de forme et de situation, le collier est un support à la rêverie, ouvre des espaces narratifs emprunts de poésie désinvolte. C’est également avec une pointe de légèreté que Maria Loboda aborde le domaine de la mythologie chinoise. L’installation « What will happen ? », associant un parquet aux motifs divinatoires I-ching et une tasse faite dans le noir contenant des feuilles de thé aux ombres de la nuit, a pour fonction de poser une question à l’oracle, chaque fois différente selon l’exposition. Selon l’ hexagramme Hsiao Kuo, « de même que les notes descendent d’un oiseau en vol, la descente est meilleure que l’ascension. De cette manière, une grande fortune adviendra ». Espérons que cette jolie prophétie de « L’homme nu » s’accomplira.
Privilégiant la rencontre et l’échange, « L’homme nu » présente des œuvres sous le signe d’une lecture anthropologique, dans une notion de redécouverte de formes, de cultures, ancestrales ou contemporaines, avec une attention centrée sur l’homme : sa représentation, son environnement et son mode de vie constituent les trois volets de cette programmation. Oeuvres in situ, sculptures, dessins, objets, viendront, de manière abstraite, concrète, imaginaire et poétique recomposer un paysage universel, à la croisée de cultures, tout en analysant leurs mécanismes.
L’intitulé « L’homme nu », emprunté à Claude Lévi-Strauss, propose d’envisager l’homme dans son état le plus simple, comme un mannequin que l’on habille, les différentes strates jouant le rôle d’impressions successives de civilisations, de cultures, de pratiques communautaires ou d’usages sociaux. Un homme sous influences indifféremment proches ou lointaines, aussi bien géographiquement qu’historiquement. Plus qu’un sujet, l’anthropologie est ici abordée de biais. Comme un nouveau regard, elle révèle un certain nombre d’œuvres ayant trait à une approche sensible de l’homme. De ce point de vue, les artistes invités, issus d’univers forts différents et ne partageant pas nécessairement la même vision sur la société humaine, sont réunis par les œuvres présentées.
Portfolio
Ressources
Informations
Entrée libre
Visites accompagnées gratuites tous les vendredis à 19 h (sur inscription) et à tous moments sur simple demande à l’accueil.
Pour tous renseignements : Adélaïde Couillard Bach
Notes
[1] Michel de Certeau, « L’invention du quotidien », Coll. 10-18., Paris, 1980